Non mais… Non mais vraiment… Non. Xavier Dolan : je ne peux pas. Pire : Xavier Dolan, je ne comprends pas. Et ce n’est pas son cinéma que je ne comprends pas. Disons plutôt que c’est l’engouement qu’il y a autour de son cinéma qui m’échappe. Déjà, je reste sur le fion quand je constate que même après dix ans de carrière, ce mec a toujours besoin d’un bon quart d’heure pour se roder techniquement. Les premiers plans sont dégueulasses : gestion de l’espace scénique catastrophique ; raccords incohérents tous les deux plans ; photographie bien trop sombre ; dialogues usant d’effets de suspense beaucoup trop artificiels par rapport à la tonalité formelle choisie… C’est… C’est moche. Bah oui, osons le dire : c’est juste moche. Alors après j’entends que les concepts de « beau » et de « moche » relèvent de la pure subjectivité. Moi le premier je me crispe quand j’entends des gens fixer arbitrairement certains codes visuels ou scénaristiques comme étant forcément « bons » ou « mauvais » et cela juste parce qu’ils y ont reconnus les marqueurs propres au groupe culturel auquel ils appartiennent. Seulement voilà, là je trouve quand même assez dingue qu’une fois de plus on passe ça à Dolan alors qu’on ne s’en prive pas généralement pour les autres. Parce qu’attention : pour moi ce type de reproches formels pourrait finalement se généraliser à tout le film. Que ce soit dans les personnages, le rythme, les symboles, la gestion du son et même tout simplement l’histoire qui nous est raconté, tout n’est qu’approximations, embrouillaminis et – osons le dire – balourdises. Bah ouais, je suis désolé, mais moi, à regarder l’œuvre dans son ensemble, je trouve ça vraiment d’un balourd ! Parce qu’au fond, que nous raconte ce film ? Un gars veut renouer les liens avec sa famille parce qu’il est mourant. Mais il n’y arrive pas parce qu’il n’ose pas leur dire ce qu’il a à leur dire. Et à dire vrai, on comprend vite que toute la problématique du film c’est ça : dans cette famille, on n’arrive pas à se dire ce qu’on a à se dire. Et le pire c’est que l’idée, moi à la base, elle me parle. Seulement voilà, si à aucun moment je ne suis parvenu à m’accrocher à cette intrigue, c’est parce qu’elle est menée à bons coups de gros sabots bien maladroits. Alors – je ne redis pas – le porteur de sabots est sûrement pétri de bonnes intentions. Mais bon, soyons franc : le gars ne maitrise clairement pas son outil. Et quand je parle d’outil, je ne parle pas de caméra, d’optique, de capteurs et de mixages sonores (…et encore, rappelons-nous du début). Non : ce qu’il ne maitrise pas, c’est cet outil qui fait que tous ces aspects techniques disparaissent à un moment donné au service de ce qui nous est montré et raconté. Cet outil, ça s’appelle le cinéma. Or, par rapport au spectateur que je suis, Dolan ne maitrise clairement pas cet outil. Ses personnages ne cessent de répéter la même chose. Ils chevrotent en permanence. Ils s’interrompent au milieu de leurs phrases comme pour faire plus authentique. Leurs échanges sont téléguidés par des préoccupations qui s’affranchissent de toute logique… Non mais combien de fois j’ai voulu hurler à un ou deux personnages « Mais dis ça au lieu de rester enfermé dans ta boucle de parole ! » Et ça se répète ! Et ça fait artificiel ! …Bah ouais : quand je disais que c’était balourd tout à l’heure je le pensais aussi pour ça. C’est tellement surfait, surjoué, téléguidé qu’il devient difficile d’y croire. Moi, pendant près de deux heures, je n’ai vu que des comédiens – très bons pourtant ! – s’efforcer de donner de l’épaisseur et de l’authenticité à ce qui à la base n’est que lourd et très peu mûri. D’ailleurs, vraiment un grand bravo à certains d’entre eux. Si Lea « university-of-life » Seydoux m’est apparue assez inconsistante et lisse (comme toujours quoi) et si Marion Cotillard s’enlise une fois de plus dans ses mimiques, Nathalie Baye, Gaspard Ulliel et surtout Vincent Cassel ont su suer sang et eau pour essayer de donner de l’émotion à leurs scènes. Le cas du final en est d’ailleurs pour moi une belle illustration. Quand on prend le temps d’y réfléchir, cette scène est absurde au possible (à moins de considérer qu’on est dans une famille de fous) et elle aurait pu franchement ridiculiser tous les acteurs qui y ont participé si jamais ils n’avaient pas su y la jouer à fond. L’air de rien : respect. Mais d’un autre côté, en prenant bien le temps d’y penser, je me dis aussi que si le film ne sombre pas totalement dans l’affliction absolue, c’est aussi et uniquement grâce à ce que je viens d’expliquer sur cette dernière scène. Parce que ça a beau être long, creux, vain (l’air de rien : au bout d’une heure et demie, tu en sais finalement autant qu’au bout de trente minutes) ; il n’en reste pas moins difficile de se dire que Dolan se fout de nous. Le mec est tellement dans la surenchère qu’on sent qu’il y met tout ce qu’il peut. Et qu’importe s’il calque des gros plans avec des regards mystérieux à tout bout de champ comme le ferait un ado de 17 ans ! Qu’importe aussi s’il claque à outrance des ralentis sur fond de musique à piano comme le ferait un ado de 15 ans ! Et qu’importe même s’il claque quelques vieux tubes en mode random sans souci de cohérence avec l’atmosphère ou l’intrigue comme le ferait un ado de 13 ans (
perso je croyais qu’on avait touché le fond avec Dragosta Din Tei, et pourtant le vieux Moby de conclusion m’a prouvé qu’on pouvait faire bien pire
) ! Oui ! Qu’importe ! Parce qu’au fond j’ai l’impression que s’en fout un peu de la technique, du sujet et de la narration quand on encense Dolan. Un autre userait des mêmes effets pour un film à grand spectacle ou bien pour une comédie populaire qu’il se ferait tailler en pièces par ces mêmes adorateurs. Non. J’ai l’impression que quand on aime Dolan, ça n’a aucun rapport avec son talent ou sa technique. C’est juste que, parmi les troupes de cinéastes intellos-bobos qui aiment brasser ces sujets un peu vains qui plaisent tant au public conservateur, Dolan est peut-être le seul à savoir faire ça avec cœur, avec envie et conviction… Et je l’avoue, je ne peux pas lui retirer ça au jeune Canadien. On sent qu’il est à fond dans ce qu’il fait. Je trouve ça creux au possible. Je trouve ça incohérent, mal bossé et pas mûri pour un sou, mais il fait ça avec le cœur. Alors bon… Si vous aimez les cinéastes qui ont du cœur – pourquoi pas – allez voir ce « Juste la fin du monde ». Sinon, si vous comptez vous déplacer parce qu’on vous a vendu un génie, je pense qu’il va falloir se préparer à être déçu. Bon après, ça ne reste que moi qui dis ça. Qui suis-je à côté de ces éminences grises des académies et autres presses spécialisées qui savent nous dire ce qui est bon pour nous ? ;-)