Avant de commencer, je ne saurai que trop vous conseiller de ne pas céder à la curiosité, parce que notre site préféré Allociné pose la question de savoir qui est Nat Turner. Autant que vous le sachiez, "The birth of a nation" s’appuie sur la vie d’un esclave qui a mené une révolte sanglante en 1831. Mais attention ! N’allez pas voir la réponse complète que le staff du site a cru bon d’apporter. Parce que la fin de l’histoire est révélée, ce qui vous privera de ressentir bien des choses. Car si vous avez réussi au moins temporairement à bouder les avis des internautes, le synopsis, et les anecdotes de tournage, je vous promets que vous allez vivre de grandes émotions. Pour tout vous dire, je suis ressorti de la salle fortement secoué, avec une question en tête : qui est Nate Parker ? Parce que ce gars-là est partout, alors que je ne le connaissais ni d’Eve ni d’Adam. Il a occupé tous les postes possibles et imaginables : réalisateur, comédien, scénariste et producteur. Un travail de titan. Et quel talent ! Pour son premier long métrage, il frappe fort, très fort ! Il fait aussi bien (ou presque) pour sa première réalisation que Kevin Costner avec son mythique "Danse avec les loups", ou Mel Gibson avec "Braveheart", pour ne citer qu’eux. Mais parlons d’abord de ce qui se voit le plus ; le travail d’acteur. Il est bluffant. Il porte littéralement tout le film sur les épaules (c’est le cas de le dire, techniquement parlant). Dans un contexte difficile (on peut même dire barbare) qu’est l’esclavage, il réussit à donner à son personnage une délicieuse candeur, une dévotion inébranlable, une gentillesse comme on en croise rarement. Il lui donne un regard bougrement expressif, dans lequel on peut voir par moments une sourde colère qui sommeille en lui et les prémices d’une révolte latente. Des sentiments refoulés par la lecture de la Bible (tiens donc ! personne s’insurge contre la présence de la religion comme certains ont pu le faire envers Mel Gibson…), laquelle nourrit la grâce qui l’anime, apportée par la foi. Une foi qui lui permet de s’en remettre à Dieu, quelles que soient les circonstances. Et en plus il est capable de pleurer ! Je suis admiratif ! Bon il faut dire qu’il est entouré par une sacrée panoplie de personnages qui lui donnent bien la réplique, à commencer par un Samuel Turner à double facette (Armie Hammer très subtil en fausse brute adepte de l’apparence et du qu’en dira-t-on), la douce Cherry (Aja Naomi King superbe de sensibilité), la taiseuse Elizabeth Turner (Penelope Ann Miller toute en sobriété en spectatrice impuissante), et l’affreux Raymond Cobb (Jackie Earle Haley monumental en chasseur froid et implacable). Ensuite la réalisation : elle est étonnante. Etonnante parce qu’il y a de la violence, de la brutalité, sans qu’on ait forcément de grandes giclées de sang qui traversent l’écran ; mais il y aussi de la poésie qui ressort de ce long métrage, par le biais de plans paysagers absolument superbes. Il y va ainsi de cet immense champ de coton sur un coucher de soleil (ou lever, on ne sait pas trop mais là n’est pas l’important), qu’il y ait des silhouettes en ombre chinoise ou pas. Il y va aussi de ce grand arbre de l’exploitation Turner, avec ses grandes inflorescences retombantes. La réalisation est classique, ce qui est souvent le lot des reconstitutions historiques. Mais elle n’est pas académique pour autant, car il ressort de la mise en scène un parfum de naturel. La photographie est léchée, et le tout est fort bien mis en images par ailleurs esthétiquement soignées, accompagné par une magnifique composition d’Henry Jackman. Les tonalités africaines, saupoudrées de gospel, et d’incantations religieuses nous immergent complètement dans le monde peu enviable des noirs. Ainsi, nous vivons ce qu’ils vivent, et le réalisateur réussit même à arracher aux spectateurs des petits cris d’effroi mal étouffés lors des sévices corporels d'une rare cruauté. Certes le point de vue offert peut être vu comme le symptôme d’un certain parti pris. Gardons en mémoire que "The birth of a nation" se focalise sur un esclave noir en particulier, et que le film a été réalisé par un noir, ce qui est très souvent le cas pour les films du genre. Le montage est irréprochable, et se fait même remarquer par des transitions qui nous font passer à travers de nombreuses années sur un seul plan. Un plan sur une larme suffit pour nous faire passer d’un personnage enfant à un personnage adulte. Au prix d’une documentation poussée, Nate Parker signe un premier long métrage plus que prometteur, potentiellement oscarisable. Mais en raison d’une supposée bêtise dans sa jeunesse, Nate Parker n’y sera pas nommé. Peu importe, le succès populaire d’un film ne se construit pas sur les récompenses gagnées ici et là. A quelques exceptions près. Mais attendez-vous à être bouleversés devant ce qu’a pu endurer le peuple noir déraciné de ses terres, devant la barbarie inhumaine dont est capable l’être humain, en l’occurrence blanc dans ce film. C’est à se demander nous aussi où est Dieu là-dedans… "The birth of a nation" est donc la première claque cinématographique que j’ai prise en pleine face en cette année 2017, auquel je donne un 5/5 parce que Nate Parker a su relever le défi, ce qui n’était pas évident pour une première fois, surtout si on tient compte de l’ambition du projet et de son caractère historique. Indéniablement, il sait filmer, n’oubliant pas les petits détails comme les hémorragies pétéchiales sur un petit plan séquence
lors de la pendaison au cours de laquelle le condamné s’en remet totalement à Dieu
. Et puis surtout, il a osé porter à l’écran une relecture de la Bible, une autre interprétation qui a donné le changement de cap du personnage principal, comme on peut la voir à travers l’islam et les événements qui secouent le monde actuel. C’est courageux. Une œuvre totalement assumée, et qu’on apprécie ou pas ce film, ou encore moyennement, on ne peut pas lui enlever ça. Chapeau !