Des films sur l’esclavagisme U.S, on pense en avoir fait le tour. « Un film de plus » se dit-on. Même quand le sujet n’est pas central mais en toile de fond. « Django Unchained », « 12 years a slave » « Amistad » pour citer les derniers attaquent l’esclavagisme frontalement. « Birth of a Nation » nous relate l’histoire vraie d’un esclave qui sait lire et devient pasteur… pour des Noirs… esclaves ! Il a pour mission d’aller de plantation en plantation apporter la bonne parole pour rendre dociles les esclaves. Ce n’est pas banal comme récit à nous raconter. Les scènes sont fortes et graduellement insupportables. On y voit une jeune fille Noire, une corde au cou, suivre en courant le sourire aux lèvres une jeune fille Blanche. La jeune fille Noire est traînée en laisse comme un toutou. Plus tard, on attaque au burin les dents d’un esclave enchaîné pour le forcer à se nourrir, la bouche obstruée afin qu’il ne recrache pas tout. Une fois de plus, l’horreur nous est montrée. Nat Turner sait lire, on lui en a donné l’occasion. C’est un privilège. On peut dire, en contextualisant l’époque, qu’il est parqué dans une plantation bienveillante comparée à celles qu’il va visiter lors de ses prêches. On a droit à des gueules blanches sans foi ni loi, traitant leurs esclaves comme des bêtes sauvages. Le gros cliché. Mais je le dis souvent, les clichés ont la vie dure et ils sont d’autant plus durs qu’ils traduisent UNE réalité historique abominable qui balafre encore le visage de l’Amérique. Une cicatrice de plus après celle de l’éradication des Indiens. Nat Parker, réalisateur et acteur a mille fois raison de replonger le couteau dans la plaie. C’est pourquoi il y aura toujours cette balafre. Film instructif car je ne connaissais pas ce fait historique. Ce personnage, Nat Turner a eu le cran de prêcher la bonne parole à des esclaves complètement dévastés. Comment peut-on proférer des paroles de paix, d’amour, de pardon à des hommes et à des femmes traités comme des bêtes immondes par des Blancs ? Comment peut-on croire en Dieu alors que Nat Turner est lui-même esclave, lui et sa famille ? Cette foi qu’il a, l’a certainement aidé d’une part à prêcher et d’autre part à accepter sa condition. Lors de ses prêches, il s’est évidemment rendu compte que les plantations visitées n’avaient rien de commun avec la sienne. En soi, le prêche lui a permis de lui ouvrir les yeux. Je le répète, il faut se replacer dans l’époque. Nat en naissant dans une plantation qui avait choisi de jouer la carte de la souplesse permettait aux esclaves de travailler dans des conditions plus dignes. En apparence. Le Blanc souple soit-il devait garder ses distances et frapper si trop de familiarité. Mais la grande majorité des plantations décrites dans la littérature ou dans les films se déroulaient dans des conditions inhumaines. Nat apparaissait donc comme un privilégié. Il savait lire de surcroît. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans le Sud. Apparemment dans le Nord, ce n’était pas trop exceptionnel même si ce n’était pas si bien vu que ça. « 12 years a slave » parle d’un Noir libre de l’Etat de New York. Sans vouloir faire un mauvais jeu de mot, sa condition fait tache dans le Sud non seulement auprès des Blancs mais aussi auprès de Noirs. Avaient-ils conscience que des Noirs pouvaient être libres dans leur pays ? 60 ans avant la guerre de Sécession ? Ne vivaient-ils pas leur condition d’esclave comme une fatalité ? Comme quelque- chose-qui-a-toujours-été-comme-ça ? Et Dieu dans tout ça ? Il est du côté des opprimés ! N’importe quoi ! Mais comment leur en vouloir, ils étaient maintenus dans l’ignorance. L’ancienne génération, les majordomes si on veut, ceux et celles qui étaient admis dans le cercle intime des propriétaires admettaient que leur condition était dans l’ordre des choses. Et ce n’est pas nouveau. Depuis l’Antiquité ! Ceux qui étaient considérés comme privilégiés parce que bien placés étaient réticents à l’idée d’une révolution ou à défaut d’un changement de société. Le domestique de Sam Turner n’approuve pas Nat. A trente ans de la guerre de Sécession. Alors oui, ça me semble surréaliste qu’un Noir qui subit sa condition d’esclave prêche la bonne parole à ses congénères traités comme des moins que rien. Ca me paraît surréaliste que ces esclaves puisent un quelconque réconfort dans la parole de Dieu laquelle est diffusée par un autre Noir esclave. Il sait lire, lui, il doit savoir de quoi il parle. Tu parles ! Nat prend enfin conscience que la Bible n’a pas qu'une seule lecture. La Bible est violente mais à cette violence répond la colère de Dieu.
Nat va jouer les Spartacus en décidant de libérer les esclaves des plantations voisines à la sienne et va commencer justement par celle-ci. Son bras armé d’un bâton, d’une hache est le prolongement de celui de Dieu, il en est convaincu. Une révolution éclaire vite étouffée mais qui aura eu le mérite non seulement d’exister mais de frapper les consciences à venir.
Le pire dans tout ça : la guerre de Sécession mettra fin à l’esclavage dans le Sud mais du Sud ou Nord, le fameux soi-disant Nord ouvert n’empêchera pas l’Amérique d’être raciste. De définir des zones pour les Noirs, des zones pour des Blancs. Elle mettra du temps à accepter les mariages mixtes, à accepter que la communauté Noire puissent s’élever au sein de sa société. Oui, la naissance d’une Nation ne concerne pas que les Blancs. Là encore, le contexte est important et confirme mes propos précédents. Le film de D.W Griffith date de 1915. C’est encore frais. C’est la vision d’une certaine Amérique tout juste sortie de la guerre de Sécession, une petite quarantaine d’années auparavant. Nat Parker nous dit que la Naissance d’une Nation s’est faite aussi avec les Noirs. Un film de plus, certes, mais un film instructif ; un biopic de forme classique mais efficace. A voir en V.O évidemment.