La réalisatrice saoudienne Haifaa Al Mansour a choisi de relire la vie (ou plutôt une petite partie de la vie) de Mary Shelley au travers du prisme du féminisme, qui est un sujet qui lui est certainement très cher. C’est un parti pris qui se défend, même si on peut le trouver un petit peu réducteur. Elle rend une copie propre, mais très académique : narration très linéaire, musique passe-partout, transitions sans imagination (un plan du ciel et hop… scène suivante !), « Mary Shelley » bénéficie d’une réalisation propre, d’une reconstitution assez fidèle à l’esprit étriqué de l’époque victorienne mais souffre de deux défauts qui font mal : c’est un film trop long et un petit peu trop bavard. C’est sans doute à cause du personnage de Percy Shelley, incarné par l’acteur Douglas Booth, qui visiblement adore s’écouter parler et pense faire tourner les têtes des demoiselles avec ses vers alambiqués. Booth prête son physique avantageux à un Percy Shelley dont il ne faut pas longtemps pour comprendre qu’il a tout de la planche pourrie : égoïste, infidèle et menteur, il vit à crédit, aime à crédit, séduit pour séduire et fuit ses responsabilités en permanence : le pervers narcissique victorien parfait. C’est sans doute pour cela qu’à coté de lui, Elle Fanning incarne une Mary Godwin qui a perpétuellement une tête de victime. On a un peu de mal, du coup, à trouver la femme forte, la créatrice littéraire dans son interprétation, elle fait un peu tendre pour le rôle, même si elle fait indubitablement de son mieux. Les seconds rôles sont intéressants, et on retrouve des têtes connues si on aime les séries TV de qualité comme Maisie Williams ou Stephen Dillane (« GOT ») ou bien encore Joane Frogatt (« Downton Abbey »). Ca fait toujours plaisir de revoir sur grand écran des comédiens qui se sont illustrés sur le petit mais quand on voit Maisie Williams au cinéma on se rends compte qu’il va lui falloir (et nous falloir) beaucoup de temps pour ne pas voir Arya Stark ! Je lui souhaite du courage pour rebondir après un rôle aussi fort dans une série aussi célèbre. Pour revenir à « Mary Shelley », son casting est réussi, même si certains personnages sont un peu excessifs et un peu caricaturaux à la longue : Tom Sturridge en Lord Byron en fait beaucoup ! Comme je le disais, le film raconte l’histoire d’une jeune femme victime de sa propre passion pour un homme toxique, et qui se sert de cette relation pour écrire ce qui sera un chef d’œuvre de la littérature fantastique. Le film nous montre en fait une jeune femme victime qui retourne sa situation de victime à son avantage et impose au final, difficilement, son nom sur l’œuvre qu’elle a écrite grâce à sa position de victime, presque une mise en abîme. Même si l’intrigue se situe dans une des périodes les plus rétrogrades pour la condition féminine européenne, son histoire résonne toujours aujourd’hui. Et je dirais même qu’elle résonne surement plus fort en 2018 que si elle avait été filmée il y a seulement 5 ans. Encore une fois, le parti pris de Haiffa Al Mansour est défendable, il est même tout à fait pertinent mais du coup, il fait l’impasse sur l’œuvre elle-même, son inspiration, sa gestation. Le film laisse entendre que le livre a été écrit très vite, presque en une nuit dans un moment de désespoir total. Je ne sais pas si c’est vrai mais « Frankenstein ou le Prométhée Moderne » (le vrai titre) a tellement marqué la littérature fantastique et le cinéma depuis plus de 100 ans qu’on regrette de ne pas en apprendre plus sur ce qui l’a inspiré. C’est évoqué dans le film, au travers d’une scène de cabaret ou d’un rêve mais c’est fugace, c’est frustrant. De même que la difficulté qu’aura Mary à imposer son nom sur le livre est sous-exploitée, expédiée en 10 minutes à la fin du film. En fait, « Mary Shelley » est un film qui aurait gagné à être plus centré sur l’œuvre elle-même et moins sur la longue adolescence de son auteur. Tout ce qui est vraiment intéressant, quand on aime la littérature, intervient trop tard et trop brièvement. Avant cela, on aura frisé parfois le roman à l’eau de rose ou le vaudeville, avec musique quand les amants s’embrassent et tout le toutim ! Le rythme lent, le côté assez bavard (et parfois inutilement précieux) des dialogues, les aspects un peu « fleur bleue » du scénario donnent au final l’impression d’une occasion un peu manquée. Mais je ne veux pas être trop dure avec « Mary Shelley », un film qui a le mérite de jeter la lumière sur une jeune femme passionnée de lettres, de mots, et qui aura donné au monde une histoire de monstres pas comme les autres : un monstre attachant, un monstre victime de la monstruosité de l’Homme. Si cela donnait juste envie de relire son roman, ou de revoir une des adaptations sur écran, ce serait déjà contrat rempli pour le film de Haifaa Al Mansour.