Aborder l’affaire Dreyfus au cinéma peut paraitre un défi de taille pour tout cinéaste qui s’y attache tant cette affaire a eu de ramifications judiciaires, politiques et sociétales pendant près d’une décennie. En évoquant uniquement la contre-enquête conduite au sein de l’armée française dans les mois qui ont suivi la dégradation et la condamnation au bagne d’Alfred Dreyfus et en choisissant de centrer son film autour du personnage de Marie-Georges Picquart, Roman Polanski réussit plutôt bien son pari.
Il cadre bien le sujet. A l’exception des scènes de pillage qui suivent la publication par l’Aurore de la lettre adressée par Emile Zola au Président de la République, l’aspect sociétal de l’affaire est complètement occulté. Polanski se focalise essentiellement sur son volet judiciaire en limitant ses aspects politiques à une poignée de séquences impliquant quelques journalistes ou le ministre de la Guerre.
Tout au long du film, Polanski retranscrit parfaitement le climat pesant qui régnait au sein de l’armée française dans la dernière décennie du XIX siècle. Une armée obnubilée par la revanche à prendre sur l’Allemagne, vers laquelle les activités d’espionnage sont tournées en priorité. La volonté de l’institution de redorer son blason près d’un quart de siècle après l’humiliation de 1870 et le sentiment de panique générale qu’y a laissé « l’affaire » sont bien palpables à l’écran.
Le tour antisémite qu’a pris l’affaire Dreyfus est, quant à lui, abordé habilement au travers de l’armée française ou de quelques protagonistes à l’enquête.
Cette juste retranscription de l’Histoire est rendue possible par l’aspect technique très soigné du film. Les décors et costumes permettent une impressionnante reconstitution du Paris de cette fin de XIXe siècle. Grace à la précision de sa mise en scène, Polanski parvient à recréer des scènes denses à l’intensité dramatique, que ce soient la scène de la dégradation d’Alfred Dreyfus qui ouvre le film ou les différentes scènes de procès. Enfin, Polanski s’appuie sur une large palette d’acteurs de talent, à commencer par Jean Dujardin, qui campe magnifiquement un Marie-Georges Picquart plein de sensibilité et de détermination, homme de devoir doté d’un sens moral hors du commun qui l’amène à affronter sa hiérarchie et à prendre le risque de compromettre sa carrière. Jean Dujardin est entouré d’un grand nombre de seconds rôles parmi lesquels on retrouve Louis Garrel, Mathieu Almaric, Damien Bonnard, Emmanuelle Seigner, Melvil Poupaud, Michel Vuillermoz, Vincent Perez, Denis Podalydes…
Mais, comme beaucoup de grosses productions, « J’accuse » n’échappe pas au piège du film à grand spectacle. S’il se veut une restitution fidèle d’événements ayant réellement eu lieu, le film a peu à peu tendance à transformer Marie-Georges Picquart en un véritable héros de cinéma, aventurier au grand cœur, capable de prendre tous les risques pour poursuivre l’assassin de l’avocat d’Emile Zola, agressé en plein rue par l’homme qu’il cherche à faire condamner ou passant son temps libre en compagnie de sa maitresse. Il en va de même du personnage d’Alfred Dreyfus que l’on voit essentiellement en train de se morfondre sur son Ile du Diable au cours de quelques séquences qui présentent peu d’intérêt. Le choix d’introduire un certain nombre de flash-backs est, par ailleurs, douteux. Ces flash-backs ne semblent avoir d’autre finalité que celle de présenter plus en détail certains personnages parmi la pléthore de protagonistes qu’a comptée l’affaire Dreyfus au sein de l’armée française ou du monde judiciaire.
« J’accuse » n’en reste pas moins un film haletant, qui nous prend aux tripes, une reconstitution minutieuse de ce feuilleton judiciaire qui a passionné la France pendant une dizaine d’années et l’a scindée en deux. Un film qui nous incite à en savoir plus sur cet épisode de notre histoire et, parallèlement, à réfléchir aux notions de justice, d’équité et d’impartialité qui resonnent toujours avec autant d’intensité à nos oreilles dans le monde d’aujourd’hui.