Comment ne pas reconnaître Steven Spielberg derrière James Halliday, ce multimilliardaire dont la principale invention, l'OASIS, permet à la population mondiale de s'évader à l'intérieur de l'illusion d'un immense monde virtuel pour échapper à la triste condition d'un futur en proie à tous les maux ? Comment ne pas faire le parallèle avec un réalisateur qui a laissé, laisse et laissera son empreinte dans l'histoire du cinéma en faisant rêver par son sens du merveilleux des générations entières de spectateurs à travers le monde le temps de quelques voyages marquants dans les salles obscures bien loin de la morne réalité ? Et, surtout, comment ne pas voir le cinéaste s'interroger sur son propre héritage, au devenir du legs de sa filmographie au milieu d'une époque qui ne jure que par les remakes, reboots et suites aussi cyniques que mercantiles, à travers cette chasse à l'easter-egg, symbole de fortune, organisée par Halliday pour transmettre son héritage au sein d'une aventure à multiples épreuves qui récompensera celui qui le connaît le mieux tout en ravivant le souvenir de ce sur quoi l'ensemble de son oeuvre s'est construite ? Dans notre monde, l'incarnation de cet easter-egg pourrait totalement être "Ready Player One" en lui-même, oeuvre faussement testimoniale d'un Steven Spielberg nous invitant aussi à prendre part à une aventure basée sur tous les piliers adorés de sa filmographie et de ses amours cinéphiles d'une époque désormais intemporelle qu'il nous ait demandé de déceler à travers les multiples références à l'écran.
Mais, attention, "Ready Player One" n'est nullement un film de fin de vie car le "jeune" réalisateur Steven Spielberg est aussi bel et bien présent sous les traits de son "avatar" Wade, un adolescent qui ne vit plus que pour l'OASIS et la chasse à cet easter-egg convoité de tous pour oublier sa vie misérable. Sur sa route, il affrontera l'IOI, une multinationale tentaculaire dont l'unique but est de parvenir par tous les moyens à mettre la main sur cet héritage générationnel pour le pervertir à des fins purement commerciales. Une fois de plus, comment ne pas y voir un Spielberg emporté dans un tourbillon de révolte contre les grands studios qui se contentent de produire des resucées sans âme de succès bien établis dans l'unique perspective d'une nouvelle pluie de billets verts de la part de spectateurs voulant renouer avec le merveilleux des films d'une époque hélas révolue.
En ce sens, le réalisateur a trouvé une espèce de support parfait à une introspection de son travail et de son devenir avec le livre d'Ernest Cline, une sorte de démonstration qu'il a pleinement conscience de son statut d'icône dans le coeur des cinéphiles et qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour le faire perdurer. Par ce seul fait, "Ready Player One" est donc une pièce maîtresse de sa filmographie en devenant un autoportrait réussi et fascinant des différentes facettes d'un monument du cinéma.
Pour autant, sur bien d'autres aspects, son nouveau long-métrage est loin d'être une totale réussite...
N.B.: à partir de ce moment, le jugement est celui d'un lecteur du bouquin d'Ernest Cline, qui l'a lu quasiment d'une traite et trouvé excellent, si votre avis sur le matériau d'origine diffère ou que vous ne l'avez même pas ouvert, il se peut évidemment que votre vision et appréciation du film ne soit pas du tout la même).
En terme d'adaptation, "Ready Player One" est un vrai cas d'école.
Visuellement, le film tient presque du sans-faute, collant au plus près et devançant même ce que notre imagination véhiculait à partir des pages du roman de Cline. De l'esthétique pessimiste de ce futur où s'empilent les mobile-homes à cause de la surpopulation et de la pauvreté, en passant par l'impression de rêve éveillé émanant de l'OASIS qui offre un champ infini de possibilités de mondes à explorer, jusqu'aux avatars des héros qu'on apprécie de voir prendre vie sur grand écran ou, bien entendu, ceux des habitants de ce monde vecteurs de dizaines de références de culture pop' à la minute, Spielberg s'amuse et semble retrouver un second souffle en retournant au merveilleux de la SF que lui offre ce nouveau terrain de chasse. Des moments époustouflants, "Ready Player One" n'en manque pas, parmi les sommets, on retiendra surtout une course urbaine démente, une danse endiablée dans une boite de nuit sans gravité, une virée en terre Kubrickienne et bien sûr cette bataille finale complètement folle, sorte d'orgasme ultime d'une culture geek explosant aux quatre coins de l'écran avec une jouissance contagieuse à laquelle il est impossible de ne pas succomber. Là encore, "Ready Player One" peut se targuer de réussir tout ce qu'il entreprend sur ce plan mais alors d'où vient le problème qui nous empêche de crier au génie avec une grande majorité de spectateurs ?
En réalité c'est sur le fond que ça se complique sérieusement. Évidemment, nous sommes dans une adaptation cinématographique qui entraîne par définition des libertés avec le support dont elle est issue. Dans "Ready Player One", tous les fondamentaux de l'intrigue sont bel et bien présents (la chasse à l'easter egg, les trois clés, tous les personnages, etc) mais les développements autour vont soit virer aux dangereux raccourcis soit en péripéties futiles allant même jusqu'à dénaturer la magie de l'oeuvre de l'origine.
Expliquons-nous, la quête à l'easter egg est le coeur même du livre, lui donnant son sens épique et dessinant des héros pour qui cela devient le but d'une vie, par-dessus toutes choses, allant même jusqu'à les isoler constamment pour avoir seul ce plaisir solitaire de récompense ultime. Or, ici, le film fait totalement fi de cet esprit déterminé et aveugle en les réunissant tous rapidement pour s'entraider (comme un vulgaire clan que le héros exècre normalement). Un détail nous direz-vous, soit. Alors que dire du personnage d'Art3mis réinventé en chef de rébellion (dont on ne verra jamais rien finalement) et révélé physiquement très vite dans la réalité alors que le livre construisait toute l'émotion touchante autour d'elle et de son histoire d'amour avec Wade sur son refus de révéler sa véritable apparence jusque dans les ultimes instants ? Que dire des épreuves complètement réimaginées (ou de celles disparues des portails) et lissées pour ne pas faire appel à des références rétro-geeks trop pointues (seule une est véritablement respectée... et bizarrement c'est la meilleure) ? Bien entendu, la course et la promenade dans un certain hôtel n'ont rien de déplaisantes mais l'idée ô combien jubilatoire de voir Wade faire une partie de Joust avec un certain Acererak comme dans un passage culte du livre était terriblement réjouissante, de même que le plaisir de la découverte du lieu par le héros qui lui octroyait vraiment son esprit de compétiteur. Que dire de tous les passages chez IOI de la dernière partie réécrits sans saveur avec un autre personnage en leur sein pour n'être qu'un prétexte à plus de scènes d'action finales très fades dans notre réalité (mention spéciale à la sous-fifre inventée pour l'occasion... et qui ne sert strictement à rien)? Que dire de ce ventre mou invraisembable au milieu du film où l'on se met à s'ennuyer alors que chaque chapitre du livre nous donnait envie de dévorer le suivant ? Que dire devant des héros terriblement bien moins attachants que dans le livre ou, pire ne servant que de faire-valoir (aïe, aïe, Shoto et Daito) ? Que dire devant la révélation bien trop en amont de l'origine du conflit entre Halliday et Morrow alors qu'elle était normalement là pour ajouter une dimension dramatique supplémentaire aux événements finaux ? Que dire...
Et on pourrait continuer la liste pendant très longtemps comme ça tant le film "Ready Player One" s'éloigne du livre dans les plus mauvaises directions possibles. À l'image de la musique effroyablement classique (et insupportable) composée par Alan Silvestri, "Ready Player One" semble lisser tous les aspects les plus originaux et pointus d'un livre qui n'était pas pourtant pas si innovant lui-même après tout mais qui était transcendé par un esprit épique par le sens même de sa quête et que le film ne retrouve qu'en de rares occasions.
On ne peut ainsi qu'imaginer le chef-d'oeuvre qu'aurait pu être "Ready Player One" s'il avait réussi à coupler l'autoportrait d'un cinéaste essentiel, son visuel et le respect total d'un support qui ne demandait aucunement de trop s'en éloigner.
En l'absence du dernier point, "Ready Player One" sera un blockbuster efficace, doté d'un univers passionnant et bien mieux réalisé que la moyenne pour tous les lecteurs du livre d'Ernest Cline. Pour les autres, il y aura peut-être l'illusion d'un potentiel chef-d'oeuvre, grand bien leur fasse...