Une déception quand on avait tellement aimé l’univers de Kervern & Delépine et tellement apprécié « Mammuth » et « Le grand soir », deux « monuments » du cinéma d’auteur contemporain. Le challenge : réaliser un film tellement statique, au personnage unique, était de toute façon trop difficile à relever. On est presque dans de l’expérimentation. Tout un film sur un seul personnage, qui se promène dans la montagne, déambulant sous le soleil, dépressif, avec l’envie de se suicider, est un peu dur. Difficile de rentrer dans la fiction, et de rester captivé, beaucoup trop de plans fixes ou il ne se passe rien. Alors que le cinéma du duo est plutôt d’habitude, un cinéma du mouvement, de l’enchaînement, du changement de lieu ; i.e. voir le road movie de « Mammuth ». Pourtant les dialogues sont excellents ( enfin le monologue) , le texte lu par la voix de Houellebecq est très bon , on dirait d’ ailleurs du Houellebecq, très littéraire, très cynique, très pessimiste, mais avec allégresse, et une certaine légèreté de style. Il faut aussi noter que Houellebecq lit très bien et rajoute de la profondeur par sa diction (on ne peut pas se prononcer sur ces qualités d’acteur, car il marche seul pendant deux heures, sur des sentiers de montagne, en plein cagnard, avec peu de répliques, et peu d’action) . On peut voir le film comme un exerce de style, une dissertation, ou plutôt une digression sur la vie, avec une position très existentielle sur le fonds, très « Célinienne ». L’homme en a assez de sa petite vie médiocre, banale, il veut en finir, n’étant plus attaché à rien, ni à sa femme, ni à ses enfants, ni à son boulot, mais il s’aperçoit que le suicide est un acte difficile, que malgré sa déprime il est attaché à la vie, que l’instinct animal de survie l’empêche de passer à l’acte. La dernière demi-heure est un peu plus dynamique, avec la rencontre avec cet asiatique et le petit jeu de vélo et de billes dans le sable. On est dans l’absurde, dans le surréalisme. Avec ce jeu de billes il y a probablement une régression au stade enfantin, à l’insouciance de la jeunesse, quand l’on ne sait pas encore la finalité de la vie, à un petit bonheur facile . Et puis aussi l’érection de ces tas de pierres qui symbolisent sa famille, ( 2 gros tas et deux petits )comme un dernier hommage, antique, préhistorique, à son clan. Il se recueille, évoque ses souvenirs, et fait ses adieux, au genre humain. L’allégorie est belle. Et puis le final qui est aussi excellent. Il revient sur la route, sur le chemin de la civilisation, il prépare son retour. Il monte dans cette voiture et pense être guéri. Il semble avoir fait la paix avec lui même. Et puis le twist final, le clin d’œil extrêmement astucieux, la phrase de trop de la jeune femme ; la surprise, violente et soudaine, et le magnifique mouvement de caméra final, avec la voix de l’ange qui l’emmène cette fois pour de bon. C’est du grand art .On retrouve dans cette dernière demi-heure la force, la sensibilité et l’originalité de Kervern/Delépine.