Quentin Tarantino est très vite devenu une icône de la culture pop, chacun de ses films étant quasiment devenus cultes. Un tel succès à forcément amené des détracteurs au fil des ans, comme de fervents admirateurs qui voit son cinéma comme "le" cinéma parfait, tandis que les autres ne comprennent pas ce qui fait sa renommer. Son style est loin d'être parfait, ses films étant un peu trop des conventions du "cool" qui forcent parfois beaucoup trop certains traits et certains dialogues, surtout dans son début de carrière, s'écoutaient bien trop parler pour ne pas dire grand chose. Mais malgré les limites de son style, ce qui fait qu'il est un cinéaste apprécié, c'est sa sincérité même dans ses plus gros défauts car son cinéma traduit un véritable amour et une passion du 7ème art qui fait plaisir à voir. Tarantino est le cinéphile qui sommeil en chacun de nous, qui parfois s'emballe pour pas grand chose mais qui le fait avec panache. Après avoir exploré beaucoup de genre dont il était friand pour les soumettre à sa propre grammaire cinématographique, Tarantino, pour son 8ème film retourne au western mais au lieu d'en signer une version cool type western spaghetti, il signe une oeuvre plus proche des westerns américains, bien plus sous les influences du cinéma de Hawks. Pour autant, ce n'est pas complètement un western que signe ici le cinéaste, son film empruntant aussi beaucoup de codes au cinéma d'horreur. Ici Tarantino digère ses influences avec habilité, il cite The Thing, Rio Bravo, Evil Dead, Carrie et bien d'autres, plusieurs visionnages ne seront pas de trop pour tout analyser et percevoir, mais malgré toute ses influences il opère néanmoins le tour de force de créer une oeuvre originale qui n'a pas son pareil. Car ici, contrairement à d'autres films passé, il n'en fait jamais trop et signe la quintessence de son cinéma, son style n'ayant jamais été aussi posé et pourtant incisif, précis et galvanisant. Il offre son film somme, conjuguant dans son scénario son amour de la littérature, du théâtre et du cinéma pour y interroger chaque genre et porter une réflexion sur son propre cinéma mais aussi sur l'Amérique moderne et la place des individus dans la société. Il reprend la structure de son Reservoir Dog et quelques passages qui ont fait la renommer de ses œuvres pour construire un huit clos théâtrale de 3h. Le film est divisé en chapitres, reprenant son procédé fétiche de la littérature pour créer un tout imprévisible et surprenant. On ne peut absolument rien prédire grâce à une gestion impeccable du suspense, on regarde les personnages se parler sans savoir qui va trahir qui, et comment tous ça va aboutir. Le film parvient à créer de vraies surprises de cinéma et le plaisir de la découverte et de se faire balader par le cinéaste est formidable. Ensuite comme toujours chez Tarantino, l'ensemble est très verbeux mais peu compter sur des dialogues d'une virtuosité rare. Jamais il n'a été autant en forme et arrive à nous tenir en haleine pendant tout le long du film malgré la passivité de la première partie. Lorsque les personnages parlent, on les écoute et on se passionne pour ce qu'ils ont à dire, chacun arrivant à faire vivre sa propre personnalité et ses propres particularités. Comme le titre l'indique, il n'y a pas de gentil dans le lot, que des nuances de mal. Avec ça Tarantino organise un microcosme humain, représentant d'une société dysfonctionnelle empli d'hypocrisies, de mensonges et de violences. Il y a néanmoins de l'honneur et de la solidarité au milieu de tout ça, mais elle est vicié, chacun servant avant tout ses propres intérêts, manipulant pour parvenir à ses fins, le rapport dominant-dominé et victime-bourreau évoluant sans cesse et menant à l'autodestruction du groupe. Qu'il se penche sur la place de l'opprimé, ici l'homme noir ou la femme, ou sur celle de l'opprimant, le raciste, le misogyne et etc, il ne fait aucun concession sur leurs portraits, chacun étant capable de monstruosité ou de bonté apportant un absence de manichéisme mais aussi une certaine radicalité. D’ailleurs la relation entre le bourreau et sa prisonnière n'est pas sans rappeler une métaphore sur le mariage, ou une expression dit bien de se passer la corde au cou. La manière dont ils sont enchaînés l'un à l'autre par une sorte de vœu, chaîne qui peuvent symboliser l'alliance, la manière dont elle est exploité par lui et veut s'en défaire pour évoquer l'émancipation de la femme moderne et où ils ont malgré tout des petites attentions discrètes l'un pour l'autre qui par moment évoque une réelle attachement. Ici l'ensemble des relations qui régissent les personnages sont pensées à merveilles et au final l'aise traduire un film qui parle avant tout d'acceptation. L'ensemble peut aussi s'appuyer sur un casting fabuleux, car il n'en faut pas moins pour rendre 3h de dialogues un moment inoubliable, car même si les dialogues son prodigieux, ils faut de sacrés bons acteurs pour les faire vivre. Et ici on est gâté. Même si l'interprétation de Tim Roth tend un peu trop à être une imitation de Christoph Waltz et que Michael Madsen est plus là pour sa stature et sa présence inquiétante que pour son talent et aussi que le casting secondaire est un peu discret. Mais c'est sans compter sur un quatuor principal absolument bluffant. Samuel L. Jackson n'est jamais aussi bon que quand il est avec Tarantino, il offre une prestation entre gravité et humour décalé grâce à son débit de parole unique et ses expressions, il est tout bonnement grandiose. Kurt Russell offre une prestation qui n'est pas sans rappeler John Wayne, il est brillant dans sa performance de rustre violent et arrive à se montrer aussi terriblement attachant lorsqu'il fait transparaître à travers son regard l'homme brisé, pleins de candeur qu'il peut être. Il fait preuve d'une subtilité et d'une justesse admirable. Jennifer Jason Leigh signe un retour remarquée, elle est ici parfaite, faisant preuve d'une ambivalence de jeu rare et qui laisse pantois tandis que la vraie révélation du film est Walton Goggins. Si on connait la série Justified, on sait que c'est un grand acteur mais ici il se révèle au public de la plus belle des manière, offrant au film toute son énergie et son phrasé si particulier pour offrir une interprétation brillante, fiévreuse et habitée. Pour ce qui est de la réalisation, là aussi c'est du grand art, filmant l'ensemble en 70 mm au format 2,76:1 permettant d'enfermer ses personnages dans le cadre, dans une vision proche du regard humain, on peut voir les personnages se tourner autour sans possibilité de fuite. L'ensemble se montre donc immersif est bien pensé, accompagné d'une photographie absolument sublime, d'une montage incisif qui soigne les effets de surprises et d'un formidable score d'Ennio Morricone, beaucoup plus proche des sonorités angoissantes d'un thriller horrifique, qui plonge le film dans un climat oppressant et pleins de tensions. Tout cela est d'ailleurs accentué par la mise en scène consciencieuse de Quentin Tarantino qui n'a jamais autant fait preuve de maîtrise. Réutilisant certains de ses vieux effets pour leurs donner une tout autre utilité et en se montrant plus posé et minutieux que par le passé, il arrive à se renouveler habilement et parvient à créer différentes situations au sein d'un même espace sans qu'aucune ne ressemble à la précédente. En conclusion The Hateful Eight est un chef d'oeuvre qui s'impose directement comme un classique instantané. Il est sans conteste le meilleur film de Tarantino qui arrive à tirer le meilleur de son cinéma tout en oubliant ses défauts. Il signe son oeuvre la plus mature et la plus sombre, évitant de tomber la gratuité du cool tout en parvenant quand même à créer de formidables moments de comédies. Réflexion habile de l'Amérique moderne, de la nature humaine et de sa place dans la société mais aussi du cinéma, du théâtre et de tout autres formes de représentations de l'art. Il offre une oeuvre d'une densité incroyable qui se complexifiera sans doute après chaque visionnage comme tout monument de cinéma intemporel qui se respecte. Le cinéaste n'avait jamais un tel niveau de toute sa carrière, et même si il ne convertira pas ses détracteurs ici, il vient quand même d'offrir une incroyable lettre d'amour au cinéma et il ouvre cette année 2016 avec panache enterrant une bonne partie de la production cinématographique actuelle. Respect.