Afin d’ouvrir une année 2016 qui s’annonce terriblement excitante, quoi de mieux que de commencer avec Les Huit Salopards, le huitième film du génial metteur en scène Quentin Tarantino. Et en effet, lorsque le réalisateur inaugure une nouvelle année cinéma il ne le fait pas qu’à moitié… Oh non, puisqu’il nous offre carrément un (nouveau) chef-d’œuvre, qui est à la fois un aboutissement de son cinéma et un retour aux sources fascinant ! Critique purement subjective bien évidemment. Quelques années après la Guerre de Sécession, le chasseur de prime John Ruth, dit Le Bourreau, fait route vers Red Rock, où il conduit sa prisonnière Daisy Domergue se faire pendre. Sur leur route, ils rencontrent le Major Marquis Warren, un ancien soldat de l’Union devenu chasseur de primes, et Chris Mannix, le nouveau shérif de Red Rock. Surpris par le blizzard ils trouvent refuge dans une auberge au milieu des montagnes, où ils sont accueillis par quatre personnages énigmatiques : le confédéré, le Mexicain, le cow-boy et le court-sur-pattes. Alors que la tempête s’abat au-dessus du massif, l’auberge va abriter une série de tromperies et de trahisons. L’un de ces huit salopards n’est pas celui qu’il prétend être et il y a fort à parier que tout le monde ne sortira pas vivant de l’auberge de Minnie. D’abord, deux adjectifs pourraient nous servir à qualifier ce film pour commencer : épuisant et fascinant. Et il faut dire qu’après le phénoménal et désormais mythique Django Unchained, la nouvelle réalisation de Quentin Tarantino était attendue de pied ferme par tout le monde. Et pour preuve, lorsque le réalisateur, qui nous a donc offert des chefs-d’œuvre cultes comme Kill Bill, Pulp Fiction ou Django Unchained, son dernier en date, a annoncé que pour son huitième film il allait renouer avec le genre du western, tout le monde s’est sentis content et tout excité, moi en premier. Mais le projet a vite pris un coup dans l’aile lorsque le scénario de Quentin Tarantino s’est retrouvé publié sur le web par la faute d’un agent d’un des acteurs du film, mettant ainsi en colère le réalisateur qui décida de ne pas réaliser le film, nous privant ainsi du plaisir de le retrouver dans l’univers du western qui est sans doute son genre de prédilection depuis le carton plein de Django Unchained. Mais après de multiples rebondissements et notamment une lecture en public du script avec ses acteurs, Tarantino décide finalement de ressortir du fin fond de son tiroir le scénario de The Hateful Eight, traduit chez nous par Les Huit Salopards, pour y effectuer quelques modifications et se lancer ensuite dans la production et la réalisation de ce qui deviendra son huitième film. Et donc pour ce huitième film, le réalisateur culte a vu les choses en grand puisque pour la première fois depuis 50 ans un film sera tourné en Ultra Panavision 70, un format de pellicule cinématographique qui accorde une plus grande importance à l’image avec notamment une meilleure qualité et qui met l’accent sur les détails contrairement au 35 mm, le format standard. Avec cette ambition technique Les Huit Salopards aura nécessité la restauration de caméras et d’objectifs pour la prise de vue, la commande de pellicule sur mesure, de trouver des labos pour la développer et surtout Quentin Tarantino a réussi à faire imprimer un certain nombre de copies de son film en 70 mm pour le dévoiler tel qu’il l’a pensé et réalisé au public. Et en effet, Les Huit Salopards sur une copie 70 mm c’est tout simplement une expérience cinématographique superbe et inoubliable pour ceux qui ont eu la chance de le découvrir ainsi. Dans cette version, le film est beaucoup plus long que la version standard qui est proposée dans presque tous les cinémas du monde car elle s’accompagne d’une introduction et d’un entracte sur une durée totale de 3h02, soit le plus long film du réalisateur. Mais l’ambition du projet ne s’arrête pas là puisque Quentin Tarantino a voulu renouer avec le style de ses débuts, c’est-à-dire avec sa première œuvre devenue culte, Reservoir Dogs sorti en 1992. Et en effet nous pouvons voir dans Les Huit Salopards une sorte de retour aux sources du réalisateur mais qui pousse son style au maximum, jusqu’à l’étirer à outrance, pour en arriver à son idée de cinéma la plus aboutie et la plus fascinante de sa carrière. Les Huit Salopards marque donc le retour de Quentin Tarantino au huis clos angoissant et violent, avec des personnages paranos et originaux, qui dans un premier temps discute entre eux (ici énormément ce qui peut détourner de nombreux spectateur du film) et qui dans un second temps règlent leurs comptes dans un déchaînement de violence jubilatoire et sadique comme Tarantino sait si bien le faire. De plus, notre réalisateur revient également à une narration chapitrée, un élément qu’il avait laissé de côté dans Django Unchained faisant de lui son film le plus universel, pour une histoire qui mélange donc dans un huis clos enneigé des personnages originaux, pas mal de café, des règlements de compte violents et des dialogues brillants à rallonges. Les Huit Salopards est donc l’un des films les plus personnels de Quentin Tarantino car le réalisateur y a incorporé tout ce qui fait la réussite de son cinéma, pour un résultat dantesque ! Et comme toujours, le metteur en scène rend hommage à des films qui l’ont influencé et celui qui se dégage le plus de cette huitième réalisation est forcément The Thing de John Carpenter sorti en 1982 pour le côté huis clos sous la neige, les personnages qui deviennent paranoïaques, les présences de Kurt Russel et d’Ennio Morricone, et l’aspect film d’horreur car oui, pour Quentin Tarantino Les Huit Salopards est son premier film d’horreur. Et je pense qu’il a raison car l’ambiance qui se dégage de ce western enneigé est très caractéristique d’un thriller d’épouvante où des personnages deviennent paranoïaques jusqu’à s’entretuer pour assurer leur survie dans un univers violent et assez angoissant, une angoisse amplifiée par la musique minimaliste mais exceptionnelle du mythique compositeur italien Ennio Morricone, auteur de bandes originales cultes telles que celle du Bon, la Brute et le Truand, Il était une fois dans l’Ouest, Les Incorruptibles et j’en passe de plus belles. Par exemple, l’ouverture du film sous les paysages froids et montagnards de ces Etats-Unis d’après la Guerre de Sécession est juste magnifique sous cette musique digne d’un film d’épouvante qui fait monter petit à petit la tension et l’angoisse. Mais le réalisateur cite également Agatha Christie dans son film car l’intrigue repose exactement sur ce genre de mystère qui peuvent abriter les romans de la célèbre romancière et cela confère aussi une dimension très théâtrale au film qui est en fait une véritable pièce de théâtre, d’où la volonté du cinéaste d’adapter son long-métrage au monde du théâtre. Mais ce qui a profondément marqué les spectateurs, surtout ceux qui n’ont pas apprécié le film, ce sont les présences de dialogues très longs et parfois jugés inutiles. Il est vrai que si l’on va voir Les Huit Salopards je pense qu’il faut d’abord savoir ce que l’on va voir, à savoir un film de Quentin Tarantino, et si l’on connaît un peu le style du cinéaste on sait que qui dit Tarantino dit dialogues. Et en y repensant je crois que ce huitième film est sans doute le plus brillant et le plus aboutis en terme de dialogues de la part de ce réalisateur. Je reconnais que le film est très long et que Tarantino pousse un peu trop loin ses dialogues, quitte à ralentir le rythme déjà pas franchement trépident du film et à le rendre longuet pendant un moment ce qui peut perdre de nombreux spectateurs. Mais adhérant totalement au style du cinéaste, cette présence massive de dialogues et d’anecdotes entre personnages ne m’a pas dérangé tant que ça puisque chaque discussion à son importance dans les rebondissements et la conclusion de l’histoire qui nous est racontée. Les personnages étant tous bien écrits et surtout magnifiquement bien interprétés, les dialogues chez Quentin Tarantino correspondent à du caviar auditif parfaitement jubilatoire. La force du cinéma de Tarantino émane de ses dialogues brillamment construits, les premiers chapitres dans la diligence sont juste géniaux et une fois arrivé dans le chalet les choses deviennent de plus en plus fascinantes. Car une fois dans le chalet, et même depuis le début quasiment, Les Huit Salopards devient le film le plus sombre de Tarantino et ouvertement le plus politique, une analyse qui est souvent ressortie des critiques professionnelles ayant aimée le film. Le film questionne en effet sur la condition des noirs au lendemain de la Guerre de Sécession et comment ils sont vus dans une Amérique encore très divisée après la guerre civile entre les Etats du Nord et les Etats du Sud. Quentin Tarantino entraîne une fois de plus ses spectateurs dans le sujet délicat du racisme en évoquant ce contexte historique difficile où la violence envers les noirs était toujours présente dans la société américaine de l’époque et dépeint donc une société bâtit sur le mensonge et l’attrait de l’argent pour rendre la justice notamment. Ce film à donc quelque chose de très intéressant derrière ses dialogues à rallonges et ses éclaboussures de sang très tarantinesques car pour ce qui est de cet élément caractéristique de Tarantino, nous pouvons voir que le réalisateur s’en est donné à cœur joie pendant les chapitres les plus tendus et nerveux de son histoire où il fait preuve d’une violence extrême dans une véritable boucherie humaine, heureusement dotée de moments comiques purement tarantinesques. Ceci dit l’humour est beaucoup moins présent dans ce film, définitivement le plus sombre de son réalisateur, mais retenons quelques répliques savoureuses et crues de Samuel L. Jackson et le gag répété de la porte qui est très dôle. Enfin arrêtons-nous un instant sur le casting du film, lui-aussi très intéressant à observer puisqu’il révèle une fois de plus ce retour aux fondamentaux pour QT. Le réalisateur à rassembler pour ce huitième film ce que l’on pourrait appeler une « team Tarantino » car de nombreux acteurs fétiches du cinéaste font leur retour dans son univers délirant et si particulier pour y livrer des performances juste magistrales et démentielles, que ce soit pour les habituer et les petits nouveaux. A commencer par un monumental Samuel L. Jackson, qui en est à sa sixième collaboration avec Tarantino, et il domine littéralement le film de bout en bout avec son personnage complexe et génial du Major Marquis Warren. Décidément l’un des plus grands acteurs que le cinéma n’ait jamais vu. Arrive ensuite l’excellentissime Kurt Russell dans le rôle de John Ruth dit Le Bourreau, personnage tout aussi génial que le Major Marquis Warren qui porte également le film par son indéniable prestance et talent d’acteur de légende. Le film introduit également un nouveau venu dans la bande d’acteur du réalisateur et il s’agit de l’impressionnante Jennifer Jason Leigh qui dans son rôle de Daisy Domergue livre une prestation à la fois drôle et terrifiante. Il s’agit d’un personnage brillamment écrit et totalement fou, qui était au départ destinée à Jennifer Lawrence, mais finalement on préfère Jennifer Jason Leigh. Il s’agit forcément de l’une des révélations du film où elle passe quasiment la moitié du long-métrage le visage couvert de sang et à se prendre des coups par Kurt Russell. L’actrice est nommée à l’Oscar du Meilleur second rôle féminin, tout est dit. Après, le film nous met en avant une autre révélation qu’est celle de Walton Goggins, l’interprète de Chris Mannix, le futur shérif de Red Rock au passé de soldat sudiste. Avec son côté candide et parfois niais, l’acteur aperçus dans Django Unchained dans le rôle d’un homme de main violent de l’esclavagiste Calvin Candie joué par Leonardo DiCaprio, Walton Goggins est parfait et se révèle être un superbe acteur, parfaitement raccord avec le style Tarantino et réussit même à gagner au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire la sympathie du spectateur. Ensuite nous pouvons citer des habitués en les personnes de Michael Madsen dans le rôle du cow-boy Joe Cage et de Bruce Dern dans la peau du général sudiste Sandy Smithers, tous les deux très bons, mais aussi Tim Roth qui il est vrai fait un peu du Christoph Waltz mais reste tout de même superbe dans son personnage d’Oswaldo Mobray dit le court-sur-pattes. Demian Bichir qui joue le Mexicain fait aussi son entrée dans l’univers de Tarantino et se débrouille très bien avec son personnage qui a un accent très prononcé, de quoi le rendre assez drôle. Et notons pour finir la présence d’un Channing Tatum qui s’en sort plutôt bien dans un rôle que je garderai secret pour ne pas vous dévoiler un des éléments essentiels de l’intrigue du film. Les Huit Salopards est donc un très grand film de Quentin Tarantino mais qui sera sans doute celui qui divisera le plus le public du fait de sa longueur, de ses longs dialogues, de sa violence extrême et de son côté théâtral en huis clos. Mais il en ressort au final un véritable chef-d’œuvre du genre, un western atypique qui sonne terriblement Tarantino et qui n’a pas fini de nous surprendre grâce à la richesse de sa mise en scène, de son ambiance, de ses personnages et de ses dialogues brillamment écrits. Après la très grosse claque Django Unchained, voici l’uppercut Les Huit Salopards, et c’est signé d’une main de maître par Quentin Tarantino !