C'est un film audacieux, sur le fond comme sur la forme. Un OFNI de l'animation. On n'en attendait pas moins de Charlie Kaufman, le génial scénariste de Being John Malkovich et d'Eternal Sunshine. Sur le fond, c'est l'histoire d'un quinqua lambda en pleine crise existentielle, confronté à ses névroses, ses frustrations, sa solitude. Petit tourbillon de mal-être et de maladresse, où il est question du besoin de se sentir vivant, de désirs et de renoncements, d'engagements et de fuites, à travers une romance de chambre d'hôtel. Sur la forme, c'est du stop-motion à l'ancienne, un peu saccadé, avec des marionnettes très "plastique", au visage bizarrement sectionné. Bref, tout cela n'est pas glamour et pas grand public pour deux sous. Charlie Kaufman et Duke Johnson, coréalisateurs, plongent sans concession dans la réalité tristement ordinaire d'un homme ordinaire. Ils restituent avec une efficacité "palpable" la nervosité du personnage central, sa confusion, ses pulsions sexuelles. Avec à la clé quelques scènes incroyables : la scène d'amour, très crue, ou encore la scène du rêve dans les souterrains de l'hôtel, irrésistiblement surréaliste... Autre idée brillante et déroutante : l'uniformisation des visages et des voix (à l'exception de ceux de Michael et de Lisa) pour dire l'uniformisation des êtres, des vies, des moules sociaux, tous ces masques et conventions qui étouffent. Cela matérialise aussi, par contraste, la cristallisation amoureuse et ses désillusions. Il y a là quelque chose d'insupportable et de cauchemardesque. De drôle aussi. Mais d'un humour dépressif. Noirceur, ironie et amertume encadrent de façon singulière ce tableau de nos petites vies contemporaines, insatisfaisantes. Il manque probablement un je-ne-sais-quoi en matière de développement, vers la fin, pour donner au récit (qui paraît un peu court) toute l'ampleur et toute l'originalité espérées. Mais ce film réussit à toujours être cruellement juste et laisse à l'esprit une impression durable.