Ce film est foncièrement dédié aux adultes, dans cette mouvance qui se crée peu à peu des films d’animation empruntant des sujets forts, avec notamment pour objectif de déstabiliser le spectateur, tout en l'amenant à réfléchir sur un ou divers thèmes en particulier. Anomalisa n'est pas une œuvre à « laisser à la portée des enfants »... Du tout.
Retraçons le synopsis : Michael Stone se retrouve à Cincinnati où il doit mener une conférence, autour de son livre qui est devenu un best-seller dans le domaine des service clients, qui aurait fait gagné plus de 90% de productivité à toutes les entreprises. Pourtant ce Michael Stone souffre : il souffre de la banalité de la vie. Arrivé à l'âge difficile quinquagénaire, cet homme tourne en rond, tombant petit à petit dans un criant désespoir, avec la difficile impression que son existence ne rime plus à rien.
Mais, dans son hôtel de Cincinnati, la veille de la conférence, il va faire une rencontre fortuite : Lisa, représentante en pâtisserie, une femme qui semble tout autant paumée dans la vie que lui, et pour laquelle il va subitement éprouver de nouveaux sentiments. Mais ces sentiments sont-ils réciproques ? Et bien plus encore, ces sentiments sont-ils... réels ?
Le pitch apparaîtrait classique pour un film dramatique, mais nous côtoyons ici l’animation, un monde où tout peut être créé. Comprenez donc que cette œuvre traite de thèmes sérieux – et compliqués - (solitude, question du libre-arbitre, l'insignifiance apparente de nos vies sont au cœur du scénario), ce qui offre une expérience surprenante. Une réalisation aux thématiques peu enfantines, mais qui présente aussi des images crûes : nudité, sexe & sextoy. Tout comme un langage assez grossier par moment.
La plus belle réussite du film se retrouve dans son aspect visuel. L'animation est de toute beauté, car elle reprend -attention, je ne suis pas expert – la technique de stop motion... et les personnages sont de vraies marionnettes, qui interagissent dans un décor « fait main ». Ce choix esthétique paraît déboussolant au premier abord, nous qui sommes habitués maintenant aux films 100% images de synthèse, mais le résultat reste magnifique. Les mouvements et les décors aseptisés donnent une impression de « réalité ».
Autre point qui mérite des louanges : le choix du doublage. Seuls trois doubleurs ont été mobilisés pour donner voix aux personnages. L'un campe Michael, une femme double Lisa, et un dernier doubleur est là pour tous les autres personnages. Une nouvelle fois, le spectateur ne peut qu'être testabilité au début. Mais au fur et à me sure de la progression de l'intrigue, cette astreinte s'explique : nous entendons les autres comme Michael les entend, lui qui est prisonnier d'un monde conformiste et métaphorique.
Je ne cesse de le répéter, mais Anomalisa est déstabilisant, voire même bouleversant sur certaines scènes. C'est forcément ce sentiment qui prédomine à la fin du visionnage. Mais selon moi, malheureusement, Charlie Kaufman et Duke Johnson se perdent en symboles. Ils souhaitent créer une poésie mélancolique, nauséabond, mais moi, ils m'ont souvent perdu. On dit que l'imaginaire n'a pas de limites, et ce film le montre. Pourtant, je pense qu'il faut aussi avoir se contenir parfois, et il ne suffit pas de façonner une œuvre « bizarre » pour pouvoir toucher les spectateurs : il faut composer une partition « magique ». La poésie et la réflexion en découleront naturellement. De bout en bout, Anomalisa semble trop « casse-tête », et ce n'est assurément pas un film qu'il faut voir quand on souhaite se détendre calmement sur son canapé...
De même, nous sommes forcés à partager les jugements du personnage principal, Michael. Le point de vue est de tel façon émis que nous sommes prisonniers de la façon de penser de Michael, comme lui est prisonnier de ses illusions. Le spectateur se retrouve obligé de plonger dans l’univers dépressif du personnage : l'objectivité ne trouve pas sa place.
Anomalisa se veut être une œuvre peu banale, mais qui traite de la banalité. Un film en apparence intelligent et fin. Cependant, chacun doit se faire son propre avis, car je suis persuadé que chacun d'entre nous réagira de façon différente après avoir vu Anomalisa. Une anomalie dans le genre du film d'animation.