Certes, on ressent beaucoup d'émotion grâce ce film. Mais après avoir découvert les tranches de vie cabossées et émouvantes de ces vingt-quatre collégiens étrangers, en sortant de la salle de cinéma, l’agacement prend vite le dessus. Ces élèves nouvellement arrivés en France affirment leur personnalité avec une belle vitalité. Emplis d’espoir, ils se rêvent médecin, chanteuse ou architecte. Mais ce documentaire touchant reste malheureusement superficiel et décevant.
Le regard de la cinéaste, particulièrement bienveillant porté sur cette classe d’accueil pourrait faire croire que le modèle éducatif de l’intégration à la française constitue une réussite idyllique. On en est loin. Car, à force de volonté militante optimiste, la cinéaste se contente de laisser tourner sa caméra dans la classe sans poser aucune des questions qui fâchent. Ce type de documentaires qui promeut l'émotion tire-larme sans réflexion, sans contextualisation est à la mode. C'est dommage car le sujet est intéressant. "Les Enfants valises", un documentaire sorti il y a six mois exactement sur le même sujet des classes d'accueil souffrait plus ou moins des mêmes défauts. Mais ce dernier n'a pas eu la chance d'être produit et diffusé au cinéma...Et de bénéficier de la même publicité.
Sur un plan formel, on peut regretter les gros plans incessants, l'absence d'originalité dans la façon de filmer, très plate, très journalistique. Dépenser 9 euros pour voir un documentaire semblable à ceux qui passent en deuxième ou troisième partie de soirée à la télévision, c'est plutôt agaçant.
Sur le fond maintenant, les classes d’accueil qui scolarisent cette année 45 000 élèves étrangers de l’école primaire au lycée rencontrent beaucoup de difficultés contrairement à ce que laisse penser "La cour de Babel".
Après un an passé dans cette structure chargée de leur faire apprendre le français à vitesse accélérée, ces jeunes Roumains, Marocains, Russes, Portugais ou Turcs sont catapultés dans une « classe ordinaire » où beaucoup finissent par perdre pied, redoubler, voire décrocher. La majorité rejoint un lycée professionnel sans que l’on sache s’ils décrochent un diplôme, faute de suivi, selon le dernier rapport ministériel sur le sujet, « La scolarisation des élèves nouvellement arrivés en France », datant de 2009. Ce documentaire a le mérite de mettre en lumière cette structure peu évaluée, en partie pour des raisons idéologiques », notait ce même rapport. Même son coût est inconnu ! L’inspection générale de l’Éducation nationale l’estime à la louche à 90 millions d’euros par an.
Les professeurs des classes « ordinaires » qui récupèrent ces jeunes ne sont pas aussi optimistes que le film: "On a tous quatre ou cinq élèves non francophones et une dizaine d’autres qui ne veulent rien faire dans chaque classe. Lorsque je sors du collège, je suis sur les genoux expliquait au Figaro un professeur du collège parisien de la Grange-aux-Belles.
Cet établissement parisien qui borde le canal Saint-Martin est précisément celui dans lequel la cinéaste a posé ses caméras. "Deux de mes élèves chinois savent à peine aligner trois mots au bout d’un an ! Même si certains sont motivés, leur absence de maîtrise écrite du français les handicape" explique une autre enseignante de ce collège. L’apprentissage de l’écrit est une véritable pierre d’achoppement pour ces élèves confirme l’Inspection générale, qui recommande le recours à la mémorisation de courts question taboue dans ce quartier parisien « bobo », les parents évitent ce collège ZEP quand ils le peuvent, "anxieux au sujet de ces jeunes très gentils mais qui parlent mal français et tirent le niveau vers le bas." De fait, selon l’Inspection générale, les Enaf "font baisser le niveau scolaire" et les scores de réussite aux examens.
Les modes actuels d’intégration semblent mécontenter tout le monde : les professeurs de français de la structure spécifique voient comme un crève-cœur leurs bons élèves peiner et être très souvent mis progressivement en échec dans la classe ordinaire ; les professeurs des classes ordinaires expriment tous l’idée que ces élèves ont rarement le niveau nécessaire pour être intégrés ; enfin, l’institution pousse à l’intégration rapide, pour pouvoir accueillir de nouveaux arrivants qui ont toujours plus de besoins…
Surtout, en dehors des grandes villes qui bénéficient de ces structures spécifiques qui ont malgré tout le mérite d’exister, plusieurs milliers d’élèves étrangers sont jetés dans le grand bain de l’Éducation nationale sans bénéficier de la moindre aide ! Pourtant, les chercheurs parlent d’un suivi linguistique nécessaire de trois ans pour que ces jeunes étrangers se raccrochent au wagon éducatif… C’est tout le paradoxe de notre système bancal d’intégration scolaire.