Venus des quatre coins du monde, de Roumanie, de Pologne, du Sri Lanka, de Chine, d'Egypte, du Sénégal, du Brésil, du Chili et de plusieurs autres pays encore, voici des adolescents de 11 à 16 ans, nouvellement arrivés en France et débarquant dans la classe d'intégration d'un collège du Xe arrondissement de Paris. Julie Bertuccelli les a suivis et filmés pendant toute une année scolaire, elle a planté sa caméra dans cette « cour de Babel » dont on peut dire qu'elle est l'opposée de la Tour du même nom. Au lieu de brouiller les langues et de signer ainsi l'échec du projet insensé de bâtir un édifice défiant le Ciel, il s'agit d'accueillir des élèves parlant des langues ô combien diverses et de leur donner le goût d'apprendre une langue commune, la langue de leur nouveau pays, la France. Ce faisant, ces jeunes construisent leur intégration et leur avenir.
La réalisatrice s'est contentée, si l'on peut dire, de scruter les visages et de faire entendre les paroles de ceux qui sont directement concernés par le devenir de ces adolescents : eux-mêmes bien sûr, l'enseignante Brigitte Cervoni et quelques parents. Pas d'autre regard, pas de points de vue extérieurs, pas de réflexions de spécialistes, et c'est tant mieux. Par petites touches, l'on en découvre de plus en plus sur chacun de ces élèves, sur leur passé et leur présent, sur leurs peurs et leurs espoirs, leurs joies et leurs tristesses. Malgré leur jeune âge, plus d'un parmi eux a déjà traversé de dures épreuves et plus d'un, au détour d'une phrase, révèle ou laisse entendre dans quelle précarité il vit encore. Certains sont porteurs de grands rêves, celui d'être un virtuose du violoncelle ou celui d'être un médecin, mais d'autres savent bien que pèsent sur eux la menace d'un retour au pays, d'un mariage forcée voire d'une excision.
Les mots qui résonnent, tout au long du film, de manière explicite ou non, sont ceux de notre devise républicaine. Ici une maman affirme à l'enseignante qu'elle est venue en France dans l'espoir d'être une femme libre. Là on découvre que l'école s'efforce d'offrir à chacun les mêmes chances : cela ne va pas de soi, sans doute, mais il y a bien une forme d'égalité dans le traitement réservé à chacun. A l'une des élèves qui s'insurge, estimant que, quand on est noir, on n'a pas droit aux mêmes chances que les autres, Brigitte Cervoni explique patiemment qu'il n'en est rien et que les décisions prises ne se fondent jamais ni sur l'origine ni sur la couleur de la peau.
Quant à la fraternité, on la voit se construire, au fil du temps, de manière presque palpable. Les différences ne sont jamais gommées et elles donnent lieu à de savoureux débats. Ainsi lorsqu'il est question des religions : telle jeune fille explique que sa mère s'est convertie de l'Islam au Christianisme, tel garçon venu du Maroc brandit fièrement un Coran... Pourtant, rien ne peut freiner la croissance de la fraternité : lorsqu'en cours d'année une élève annonce son soudain départ, c'est un déchirement. Et quand arrivent la fin d'année scolaire et l'éparpillement de tout ce petit monde, que d'émotions et que de larmes ! D'autant plus que pour Brigitte Cervoni aussi, une page se tourne : c'est sa dernière classe, à la rentrée prochaine elle changera de poste.
Il faut saluer, pour finir, le travail remarquable de cette dernière : on est très favorablement impressionné, tout au long du film, par sa patience et par son sens de la pédagogie. Et il faut saluer l'initiative de Julie Bertuccelli : son documentaire est une formidable invitation à l'accueil et à la fraternité. « C'est comme si on était tous des frères et des sœurs et qu'on se séparait pour de bon, explique un des élèves à la fin du film. J'oublierai pas cette année. Jamais. » Et nous non plus, spectateurs, nous n'oublierons pas les craintes et les espoirs, les larmes et les sourires de ces adolescents. 8,5/10