Crimson Peak
« Crimson Peak », très attendu par les cinéphiles, est le dernier film de Guillermo Del Toro. Lui qui avait charmé de nombreuses personnes avec « L’Échine du diable », ou plus récemment avec son magistral « Labyrinthe de Pan », revient avec un film possédant une analogie similaire en terme d'ambiance.
Nous suivons les péripéties Edith Cushing, jeune aspirante romancière, hantée par le fantôme de sa mère morte d'une longue maladie pendant son enfance. Celle-ci la met en garde contre "Crimson Peak". Cependant, ce n'est que plus loin dans le film qu'on connaîtra la signification de ce message. Plus tard, Édith tombe sous le charme de Thomas Sharpe qu'elle accepte de suivre en son lieu d'habitation, dans le manoir d'Allerdale Hall en Angleterre, où il vit avec sa sœur Lucille Sharpe. S'ensuit des révélations sur l'histoire de cette maison, de cette famille et des réelles intentions de cette femme mystérieuse qu'est Lucille...
Crimson Peak c'est avant tout une jouissance visuelle à toute épreuve : l'aspect baroque, les lumières, les lieux et la colorimétrie sont là pour nous tendre la main vers l'imaginaire d'un réalisateur décidément très talentueux. Doté de plans et d'une photographie bluffante, Crimson Peak parvient à rester cohérent dans un univers qui n'appartient qu'à lui. Une fois n'est pas coutume, on se doit de souligner la manière dont Del Toro joue avec les couleurs pour donner un sens à cette histoire, à ses personnages, à tel point que le scénario paraît secondaire dans la majeure partie des cas. Ce serait mentir de dire que ce dernier brille à ce niveau, loin d'être fondamentalement mauvais, il pêche toutefois dans une certaine prévisibilité qui sera en agacer quelques-uns. Scénaristiquement parlant, on pourra regretter un manque de développement envers certains protagonistes. Il est palpable que ceux-ci se contentent du minimum syndical et n'ont pour unique but d'établir l'intrigue permettant de se plonger dans l'histoire. Mais comme je le fais rarement, je pardonne volontiers tant ce que propose ce cinéaste est différent, original, maîtrisé et généreux !
Il m'est donc impossible de faire la fine bouche. Les réalisateurs capables de mettre en parallèle deux idées aux antipodes pour en faire un tout cohérent et homogène ce n'est pas courant.
Lorsque Del Toro met en scène, de manière poétique, la neige s'engouffrant via les fuites du château en insérant à son plan d'ensemble une image délétère qui a pour objectif de trancher avec la pureté de celle-ci, le tout, en restant dans un registre rationnel qui est en adéquation avec le message qu'il veut véhiculer : c'est du génie ! Ce n'est pas un cas isolé. L'idée d'opposition et de cohérence d'un message souhaité est explicite dans une scène du film, celle-ci permettant également dans apprendre d'avantage sur l'utilisation que fait Del Toro des couleurs. Alors qu’Édith dort dans son lit, celle-ci est soudainement réveillée par des bruits de plus en plus insistants, n'écoutant que son courage, elle décide de se saisir d'un chandelier pour mener son enquête sur l'origine de ce mystérieux raffuts. Lorsqu'elle commence à marcher d'un pas incertain dans sa chambre, éclairée de son simple chandelier, la signification de l'opposition de deux idées qui n'en font qu'une est perceptible.
En effet, au lieu de choisir une colorimétrie réaliste pour le chandelier, à l'accoutumé d'un ton jaune, Del Toro décide de changer légèrement la teinte de l'éclairage en le rendant rougeâtre. Il y a deux symboliques dans cette réflexion. Dans un premier temps, celle-ci fait office d'un avertissement sinistre, le rouge étant souvent synonyme du sang, la scène se veut messagère d'un malheur arrivant. La seconde, qui casse radicalement avec la première, est de rendre cette couleur réconfortante pour Edith, notamment en jouant sur un arrière plan extrêmement froid et inhospitalier.
Pour ce faire, Guillermo va accentuer le côté bleuté de l'environnement où se trouve la jeune romancière et insister sur le visage rougeoyant de celle-ci pour créer un paradoxe colorimétrique ayant pour but de rejoindre une même doctrine. Dans ce cas, les deux idées étant discordantes sur l'utilisation de la couleur fondatrice (le rouge) n'enlèvent en rien à la cohésion du message final : le danger est partout !
La sensibilité joue évidemment une place prépondérante, une personne moins sujet à l'aspect purement esthétique ne comprendra peut-être pas certains propos et ne fera pas autant de louanges sur l’œuvre. À l'image de la peinture, comme dans les autres arts, le cachet d'un artiste peut te toucher de manière divers et variés.
Le casting quant-à lui tient ses promesses : Mia Wasikowska, Tom Hiileston, Jessica Chastain et Charlie Hunnam interprètent de belle manière leurs rôles respectifs. Mention spéciale à la prestation de Jessica Chastain qui glace le sang tant son ambiguïté est grandiloquente et dont l'intronisation ce fait d'une main de maître grâce à différents facteurs : sa tenue, sa gestuelle, la nuance des coloris et cette symphonie mélodique ayant pour but de l'iconiser. Il suffit d'un plan pour comprendre ce qu'elle symbolise, nul besoin de dialogues, c'est l'image qui est souveraine d'un message. Déjà utilisé dans nombreux de ses films, ce procédé est l'un des talents du réalisateur : donner des mots à une image !
Sans surprise, Guillermo arrive à créer une atmosphère à la fois mystérieuse et emprunte à d'abondants styles déjà aperçus depuis des lustres au cinéma, car si le film se veut doter d'une ambiance noire, il serait fort dommage de le comparer à un bête film d'horreur qu'on nous rabâche depuis 10 ans. En effet, celui-ci mise d'avantage sur un aspect horrifique en instaurant un climat pesant et sombre, au lieu de nous bassiner avec des jump scares (présents par parcimonie) au point du dégoût. Légitimement, on peut se demander si l’incération de jump scares était réellement obligatoire tant ce que le film propose à l'origine est suffisant pour ne pas y aller de ce camouflet fugace. En contrepartie, étant utilisés succinctement, ceux-ci paraissent anecdotiques au vu de l'aura visuelle et de la musicalité dont celui-ci fait preuve. Il est véridique que si l'alchimie opère entre ces différentes directions artistiques, c'est en partie grâce au thèmes somptueux que le film nous legs. Signée Fernando Velázquez, notamment à l'origine de la composition musicale de « L'Orphelinat », la musique nous livre certains morceaux d'une beauté rare qui sublime l’œuvre dans son côté fantastique. Il serait néanmoins maladroit de penser que ce film n'appartient qu'à la catégorie des films fantastiques, comme précisé plus haut avec celle de l’épouvante, celui-ci répond à plusieurs genres, les plus ancrés étant ceux de la dramaturgie et de la romance. Certes, les esprits y sont présents, mais ils sont placés au second plan : ce n'est pas une histoire de fantômes, mais une histoire avec des fantômes ! La nuance, qui peut paraître subtile, ne l'est pas le moins du monde.
La chose fondamentale à retenir, au-delà de toutes ces analyses techniques en elles-mêmes, c'est d'apprécier voir un film qui sait prendre des risques ; un film qui n'a pas peur d'être en marge avec la bien-pensance hollywoodienne ; un film qui ose mélanger plusieurs genres/idées pour en créer de nouveaux ; un film qui laisse une trace de part sa différence, quitte à décevoir certaines personnes et à subir un échec commercial au box-office.
N'étant pas parfait, lui voyant même certaines longueurs, il serait tout de même dommageable de bouder son plaisir et ne pas donner une chance à ce film tant la maestria de Guillermo Del Toro a encore fait des merveilles. Que ce soit au niveau de sa photographie, de sa mise en scène, de la direction d'acteur, ou même de l'identité qu'il fait preuve, tout est là pour nous poser des questions et nous perfectionner en matière de cinéma tout en étant admiratif de l’œuvre en elle-même.
Il est cependant fort malheureux de se rendre compte de la mésestime et de l'échec commercial du film, bien que celui-ci avait des intentions louables et un vrai savoir faire. Il ne faut pas oublier que d'aimer le septième art, c'est aussi apprécier une diversité cinématographique ; diversité, qui essaye de trancher radicalement avec l’immondice de certaines productions qui ne font que servir la même sauce dans chacun de leurs films au point de prendre les gens pour des andouilles. Hélas, si le succès était synonyme de qualité, ça se saurait !
Les points positifs :
Une ambiance somptueuse ;
Un mélange de genres et d'idées ;
Un casting brillant ;
Des thèmes majestueux ;
Un visuel colorimétrique saisissant ;
Un scénario honorable.....
Les points négatifs :
…..mais qui aurait demandé un développement plus profond ;
Certaines longueurs qui auraient pu être évitées ;
Prévisible sur quelques aspects ;
Des jump sacres qui n'étaient pas indispensables ;
Pas le meilleur film de Guillermo Del Toro.
Note finale : 16/20 !
Jordan Ralite-Leprince.