Il est rare que le seul nom d'un réalisateur éveille, chez le spectateur, l'envie irrésistible de se déplacer dès la sortie. Guillermo Del Toro, créateur considéré comme « novateur », possède cette identité si forte qu'il génère, automatiquement, une communauté, même minoritaire, d'adorateurs dévoués qui, malgré tout, l'attendent au tournant. En effet, le niveau d'excellence de L'Echine du Diable ou du Labyrinthe de Pan surpasse tant l'entendement, que l'on ne peut qu'être déçu de ce que la suite donnera. Et, malheureusement, même si Crimson Peak est loin devant toutes ces œuvres insipides que le cinéma (généraliste) d'épouvante nous impose depuis quelques années, l'idée que le succès lui a ôté une partie de son génie, nous effleure à la sortie.
Guillermo Del Toro est clair sur le sujet, Crimson Peak n'entre pas dans une catégorie de genre précise et sur ce point il a raison. Le caractérisant comme une romance gothique, Crimson Peak est une histoire d'amour épouvantable où les fantômes de passés violents et douloureux viennent se manifester. Edith Cushing, jeune romancière vit ces rencontres ectoplasmiques durant sa tendre enfance et les voit, soudainement, réapparaître après la rencontre du séduisant Sir Thomas Sharpe et de son étrange sœur. A la vue du synopsis, il semble déjà évident que le film tente de rendre un complexe mélange entre passion amoureuse d'un « temps de l'innocence » et univers fantomatique où de viles secrets bouleversent cette pure romance.
Malheureusement, si l'ambiance créée de toute pièce saisit le spectateur, sans aucun doute, l'histoire trop prévisible qui l'accompagne, gâche les beautés passionnelles de nos protagonistes, à cause d'un mystère dévoilé trop tard que le spectateur aura compris trop tôt. Et c'est, ici, le seul véritable point négatif de Crimson Peak : un scénario à deux ambitions, dont l'une, intrigue mystérieuse sans aucune novation, empêche l'autre, irrésistible passion enflammée, de prendre tout son sens émotionnel. Le spectateur, tenu en haleine par une énigme qu'il espère différente de ses extrapolations silencieuses, se rend compte qu'il a gâché son plaisir de profiter du lyrisme de la mise en scène et de son décor, lors d'une révélation décevante qui avait été implantée, bien lourdement, une bonne dizaine de fois, au bout d'une vingtaine de minutes, seulement.
Mais, passées les premières désillusions scénaristiques, on ne peut que se laisser emporter par une atmosphère réaliste dans sa magie. On apprécie, notamment, l'effort de création qui aura été mis en œuvre pour rendre vrai le surnaturel. Chaque élément de décor, ou presque, a été construit pour le film et, le résultat est totalement bluffant ! Le spectateur se sent transporté dans un « Jane Eyre » gothique et la beauté froide du lieu n'a d'égal que son horreur visqueuse et cramoisie. Et pour rendre ce magnifique cadre toujours plus saisissant, la qualité évidente de mise en scène visuelle et sonore finit de nous convaincre. Bien entendu, on remarque les inspirations du cinéma de genre italien, que Del Toro a largement empruntées pour son œuvre. Ainsi, on pense, indubitablement à Mario Bava, devant les saturations de couleurs primaires sur fond froid d'un faux noir et blanc, à la frontière entre les classiques de James Whale et la folie baroque des gialli italiens : il faut l'avouer, Del Toro a le sens du crime ! On ajoute à tout cela un assourdissant design sonore plus saturé, encore, que les couleurs et il n'en faut pas moins pour que le spectateur décolle de son siège à la moindre occasion.
Finalement, Crimson Peak pourra émerveiller autant que décevoir. Sa singularité visuelle en rebutera certains mais les amoureux du style Del Toro recevront ce qu'ils désirent, en tous points. L'oeuvre est, sans aucun doute, indispensable à voir par les spécialistes du genre même s'ils ne devront se concentrer que sur son essence plastique parfaite, au détriment d'une écriture très maladroite et desservant les louables intentions d'un grand homme.