Rares sont les films qui laissent un tel goût d’indécision. Le dernier long métrage du célèbre acteur et metteur en scène, Tommy Lee Jones, faisant suite à l’excellent Trois Enterrements, n’est pas une mince affaire. Adaptation des écrits de Glendon Swarthout, Le Charlot des damnés, The Homesman est une œuvre pour le moins alambiquée, une fresque lugubre qui prend le western traditionnel à contre-pied tout en empruntant à ce genre mythique tous ses codes, notamment ceux des Westerns typiquement américains. Un Western, oui, sans conteste, mais qui s’émancipe de la brutalité des territoires de l’ouest sauvage au fur et à mesure que les personnages se rapprochent de leur destination commune, l’est civilisé. Des plaines arides d’un Nebraska chaotique et miséreux, débute un périple inconfortable pour Mary B. Cuddy et son compagnon d’infortune, le mystérieux Georges Briggs. Ce dernier doit sa vie à la dame, s’acquittant de sa dette d’une manière pour le moins particulière, entre asservissement aveugle et rédemption forcée.
La mise en scène de Tommy Lee Jones est clairement l’atout majeur de la production, présentée durant les festivités, à Cannes, cette année même. Le réalisateur maîtrise pleinement son sujet, ses plans gracieux, que ce soit ses panoramiques ou ses séquences plus intimistes. Portant son attention sur la psychologie des personnages, les deux principaux, mais aussi sur les trois femmes aliénées, Tommy Lee Jones oriente vers Western vers le strict roman noir américain, héritage des grands noms tels que William Faulkner ou Cormack McCarthy. Les causes du périple, elles-mêmes, ne sont que nuances, obligation de faire le bien imposée par la doctrine religieuse d’une communauté de colons européens installés dans les vastes territoires de l’ouest. Alors que trois femmes, dont leurs rapports à leurs enfants, vivants ou morts, constituent le point commun, perdent littéralement l’esprit, s’enfonçant dans une folie destructrice, il convient là de les ramener toutes, au nom de la foi, à la société, leurs sociétés à elles.
Mais en fin de compte, à quoi aura vraiment servi ce voyage si ce n’est à révéler les faiblesses et les forces des protagonistes. Une errance, d’abord, puis une rédemption. Le film impose un faux rythme qui tend à vouloir cerner les tréfonds de l’âme des protagonistes. Tommy Lee Jones y est excellent, en tant qu’acteur, sorte de révélateur de la misère du personnage féminin, la non moins excellente, et trop rare, Hilary Swank. On sent précisément que les incessantes confrontations entre l’homme et la femme, d’abord totalement opposés, tendront à les rapprocher, alors que le drame couve. Sans facilités scénaristiques, Tommy Lee Jones exploite les richesses d’un écrit qu’il ne parvient pourtant pas complètement à adapter en images. On sent très bien la force du film, son intention, mais l’on peine à s’accorder sur la puissance cinématographique d’un tel produit.
Quoiqu’il en soit, Tommy Lee Jones confirme son statut de metteur en scène talentueux, très habile à la mise en scène et dans sa précision des détails. Les interprétations sont superbes, les décors, miséreux au possible, sont splendides, mais les intentions sont partagées. Il manque sans doute à The Homesman une véritable intrigue narrative pour que le public puisse s’identifier pleinement à l’un des personnages, en théorie à celui du réalisateur. Que deviendra le dénommé Georges au sortir de son voyage? Dur à dire. Et Tommy Lee Jones ne nous aide pas. 14/20