Antiwestern ?
ll était une fois un road-movie dans l'ouest. C'est comme ça que je vois cette magnifique méditation de Tommy Lee Jones. Ca s'appelle "The homesman" et je ne saurais trop vous conseiller de vous y précipiter, si vous aimez le genre western. Ou même si pas, d'ailleurs.
Méditation, car c'est un peu une réflexion sur les racines inavouables des USA, cette grande nation née de tout un ramassis d'individus déclassés, que les affres de la survie dans une nature grandiose mais inhospitalière conduisaient vers un combat de tous les instants contre la bestialité. Ce combat, à mon sens l'auteur semble souvent vouloir nous le montrer comme perdu d'avance. On retrouve cette veine d'inspiration chez l'immense Clint Eastwood, dont des westerns comme "Impitoyable" me rappellent un peu cette ambiance. Le mythe du pionnier blanc généreux, cavalier intrépide et chevaleresque pétri de sens de l'honneur en prend pour son grade, braves gens.
Mais revenons à nos moutons : dans les grandes plaines arides du Nebraska, une petite communauté de fermiers se débat vaille que vaille pour survivre. Ranchs à ras de terre misérables, sécheresse, dur labeur peu fructueux, misère au jour le jour. Terre brûlée plate et monochrome mais ciels somptueux que ces besogneux n'ont sûrement pas le temps ni l'envie de contempler, contrairement à nous, petits vernis confortablement vautrés dans nos fauteuils qui les regardons batailler avec leur terre (si mal) nourricière.
Un pasteur passe de ferme en ferme pour tenter de conserver à ses ouailles un minimum de feu sacré. Mais trois des épouses de ses fermiers ont sombré dans la folie, chacune pour de solides raisons. Elles deviennent un danger pour le groupe, et il faut trouver un(e) volontaire pour les convoyer vers une sorte d'asile où des religieux les prendront en charge, à la grande ville.
C'est Mary-Bee Cuddy (Hilary Swank, qui jouait Mo Gushla dans "Million Dollars Baby"), une célibataire énergique exploitant seule une des fermes les mieux tenues du coin, qui est tirée au sort pour cette mission périlleuse. Elle déniche autoritairement pour l'aider un certain Briggs (Tommy Lee Jones, bien patiné par les kilomètres au compteur), squatter indésirable qui ne réussit pas à faire son trou dans le coin, c'est le moins qu'on puisse dire.
Il s'agit donc de cheminer dans un lourd fourgon tiré par deux mules poussives jusqu'au Missouri un nombre de jours indéfini, variable en fonction des épreuves rencontrées. Et elles ne manqueront pas, les épreuves ! De ce début d'hiver jusqu'au printemps suivant en fait, les caractères se dessinent devant nous et les fêlures se révèlent, fêlures des folles comme des supposés bien-pensants.
Ici, pas de belles diligences tirées par six chevaux toujours au top de leur forme (on se demande comment d'ailleurs) et défendues par le gros John Wayne (qui montait à cheval comme un cochon d'ailleurs !) contre des hordes hurlantes d'indiens nerveux et cascadeurs qui tombent de leur poney au galop de charge. Pas de tout ça, non non.
Ici, même les indiens ne payent pas trop de mine. On les craint mais on évite la bagarre en lançant devant eux un cheval libéré au galop qu'ils se détournent et coursent, pour le becqueter suppose Briggs. Rien de très glorieux, mais une réelle tension s'installe pourtant, comme à chaque situation scabreuse.
Dans ce road-movie au ralenti, chaque protagoniste laissera des plumes du costume d'humain qu'il s'efforce (ou pas) de conserver en état.
C'est un film dérangeant. Et selon moi très maîtrisé, à tous points de vue : lumière et cadres (paysages à tomber), direction d'acteurs (Les deux personnages principaux, taiseux respectivement vertueuse ou désabusé, sont saisissants. Quant aux foldingues, elles font bien froid dans le dos...), ambiance inquiétante, montage/découpage, je ne vois pas grand chose à critiquer.
Ah si, peut-être : deux ou trois fois, les dialogues font état de la laideur de Mary Bee. Moi je la trouve belle, cette fille. Pas jolie, sûrement pas. Mais belle, à sa façon anguleuse. Donc il aurait fallu trouver une actrice aussi bonne mais vraiment moche, peut-être, pour la rendre crédible ! (nan, j'déconne...)