Touchant d’humanité, intelligent dans la stratégie de son invitation au voyage, puissant dans sa dénonciation sociopolitique, et terrifiant de réalisme et d’intimité, cette gifle nous embarque dans la vie de quatre potes, dont deux frères, dans un bidonville de Casablanca, et sur le chemin qui les fera s’exploser dans un restaurant espagnol de la ville au nom d’Allah.
La première partie se consacre à la misère tragique, poignante, sans espoir d’un taudis périurbain et du règne sans vergogne des lois de l’arnaque, des trafics, de l’oisiveté et des petits boulots d’esclave. Quand l’un d’eux revient de prison, lettré, déterminé, salvateur et barbu, s’ouvriront alors la providence matérielle et morale, la discipline, la fraternité, l’espoir des vertus et du futur, basés sur les chimères religieuses si accessibles à ceux qui n’ont rien. La partie consacrée à l’école islamiste est bien sûr la plus étourdissante par le vécu personnalisé des protagonistes, chacun y répondant différemment, jusqu’à leur préparation suicide à devenir des Chevaux de Dieu (Djihadistes promis au martyre). Elle soulève aussi la conscience d’un mécanisme mondial assassin et conséquent, avant l’abominable conclusion, nous livrant à l’issue fatale où mort et douleur seront les seuls gagnants, dans tous les camps.
Une analogie avec l’embrigadement des jeunes Nazis et autres écoles du fanatisme de l’histoire est manifeste, et tient au moins le courage ici de décrire un des mécanismes de notre guerre actuelle. Cette courageuse, excellente et puissante fiction Marocaine, s’inspirant du quintuple attentat à la bombe à Casa en 2003, est à la fois une aventure humaine, un quasi-reportage d’un réalisme époustouflant qui gênera sans doute nos certitudes de salon, et un cri d’alarme d’un ordre mondial dramatique et suicidaire.