'Hingsman : services secrets' est une de ces bonnes surprises que le cinéma sait réserver, notamment quand il réaffirme la vitalité d'un genre qu'on aurait pu croire en voie d'extinction. Jubilatoire et exquis, le film de Matthew Vaughn n'est pas une parodie du film d'espionnage : il représente plutôt ce que le film d'espionnage peut produire de mieux dès lors qu'il associe l'humour et l'intelligence à la force explosive des meilleurs films-spectacles. Au modèle explicitement cité, James Bond, 'Kingsmen' emprunte avec bonheur ce qui faisait sa grandeur avant qu'il ne glisse et ne dérape sur la pente du cinéma d'action, jusqu'à perdre son âme dans les ruines fumantes de 'Skyfall'. Remontant à contre-courant pour explorer une autre voie, il renoue avec ce que l'espionnage james-bondien a de plus essentiel : cette énergie à la fois flegmatique et effrénée, et cette exigence d'efficacité scénaristique qui caractérisaient les films de Terence Young, George Hamilton, John Glen et Lewis Gilbert, pour ne citer que les cinéastes qui ont forgé la légende de l'agent 007. Le sens du décor, des personnages joliment dessinés et de la formule, un méchant sublime et solide secondé par un tueur (ou plutôt une tueuse) de toute beauté, les noms de codes et les galeries de gadgets, cette tranquillité britannique toujours en avance d'un bon mot, ainsi qu'une action rythmée au service de l'intrigue (et non l'inverse), tout cela se retrouve ici. Mais Matthew Vaughn, qui semble donner ici sa version de 'Moonraker', sait bien qu'il ne peut pas faire du Lewis Gilbert en 2014-2015 sans donner l'impression de réaliser un pastiche. Il a l'intelligence de prendre suffisamment de recul par rapport au genre et à la culture cinématographique qu'il exploite pour pouvoir mettre le cinéma d'espionnage en abîme : au détour d'un dialogue savoureux entre deux de ses personnages principaux, il parle du cinéma d'hier et de celui d'aujourd'hui, pour faire sentir que si les choses ont changé, la nostalgie des monuments d'hier (Hitchcock, l'un des pères fondateurs du film d'espionnage, attaché à faire du méchant superbe et charismatique la clé du succès d'un film) n'est pas absente d'un cinéma post-moderne qui impose de nouvelles règles. Vaughn dose bien les choses, livre un film soigné au propos mûri, et l'agrémente en outre de trois ou quatre séquences d'anthologie qu'il ne sur-vend pas. Du grand art.