L'idée de ce film est née d'une suggestion faite par un ami proche du réalisateur qui se demandait pourquoi Oliveira n'avait jamais fait de film sur le thème de la pauvreté : "Je lui ai répondu qu’un tel film serait très difficile à réaliser, à moins qu’il ne s’agisse d’un documentaire où je pourrais montrer différents cas de pauvreté. Je me suis souvenu alors de la pièce de Raul Brandão, "Gebo et l’ombre", qui parle de la pauvreté et de l’honnêteté", confie le cinéaste.
Gebo et l'ombre est l'un des rares films de Manoel de Oliveira dont la majeure partie se déroule dans une seule pièce. Adaptation de l’œuvre théâtrale homonyme, le film est marqué par l'unité de lieu : "J’avais l’impression de jouer au théâtre, avec ce décor restreint, avec juste trois portes et une table", partage Claudia Cardinale. Le cinéaste ajoute en parlant de son adaptation : "Le texte de "Gebo et l’ombre" se passe dans un seul lieu. C’est moi qui l’ai un peu aéré. Dans la pièce de théâtre, il n’y a pas de rue ni de changement de décor, parce que ce n’était pas viable. C’est la différence entre le théâtre et le cinéma : le cinéma est plus ample."
Manoel de Oliveira a modifié la fin de la pièce de théâtre lors de l'adaptation cinématographique. Michael Lonsdale l'a relevé en parlant de son rôle : "... [il] a coupé la dernière partie de la pièce, qui donnait une toute autre portée au sacrifice de mon personnage. En effet, dans la pièce, Gebo revenait chez lui après avoir purgé sa peine de prison et il retrouvait son fils, qui avait gardé le magot, et ils allaient boire tous les deux. C’est une conclusion plus optimiste, sans doute, que celle du film, mais je crois qu’Oliveira n’aime pas trop que les choses finissent bien."
Depuis Les Cannibales en 1988, Leonor Silveira fait partie des acteurs fétiches de Manoel de Oliveira. Il la retrouve pour la dix-huitième fois en lui offrant le rôle de Sofia, la belle-fille de Gebo.
Pour la première fois, Manoel de Oliveira a fait appel à la grande Jeanne Moreau pour jouer dans son film. Leur première rencontre a eu lieu quatre ans plus tôt au Festival de Berlin : "Un soir, en sortant d’une réception, j’entends quelqu’un derrière moi qui dit : "il paraît que Jeanne Moreau est là", et je réponds : "je suis là !". C’est de cette manière que j’ai fait sa connaissance. D’ailleurs, la première réplique qu’il a placée dans la bouche de Candidinha, mon personnage, commence par "je suis là", c’est une sorte de rappel humoristique de notre rencontre", confie l'actrice.
Michael Lonsdale et Claudia Cardinale, qui ont porté les rôles de Gebo et de sa femme Doroteia, se sont eux aussi retrouvés pour la première fois dans l'univers de Oliveira. C'est grâce à son rôle dans India Song (1975) de Marguerite Duras que Lonsdale a été remarqué pour ce film. Claudia Cardinale, quant à elle, a rencontré Manoel de Oliveira à la Mostra de Venise : "J’étais en compagnie d’autres acteurs comme Brad Pitt, et Oliveira sur scène a dit : "mon actrice italienne préférée est Claudia Cardinale !" J’étais tellement touchée par cette déclaration que je lui ai laissé un mot à son hôtel pour le remercier. Ensuite, il m’a contactée pour me proposer ce film", partage-t-elle.
Tournant avec Manoel de Oliveira depuis 1990, Ricardo Trepa a rejoint l'équipe de Gebo et l'Ombre après son rôle d'Isaac, le photographe dans L' Étrange affaire Angélica (2011). Il a rencontré plusieurs difficultés pendant la préparation de son rôle pour ce film, ne maîtrisant que peu la langue française. En parlant du réalisateur, Ricardo rapporte : "Sa seule suggestion a été : "le mieux à faire, c’est que tu prennes quelques cours de français !" Pour le personnage, il m’a laissé en "liberté "". L'acteur a également appréhendé le fait de jouer face à des acteurs de renom : "Savoir que je devais "accompagner" de très grands acteurs des cinémas français et portugais dans un film contenant beaucoup de texte a représenté aussi un grand défi puisque je devais être à la hauteur (je ne sais pas si j’ai réussi…). Mais ces grands interprètes m’ont fourni une force supplémentaire pour ma performance", exprime-t-il.
Certains critiques ont relevé une analogie entre le personnage de Gebo et trois autres personnages importants dans la filmographie d'Oliveira, à savoir Manoel, interprété par Marcello Mastroianni dans Voyage au début du monde (1996), Gilbert, joué par Michel Piccoli dans Je rentre à la maison (2001) et Husson, également joué par Piccoli dans Belle toujours en 2007. Le point commun entre les quatre personnages est l’autoportrait du réalisateur, que l'on retrouve à chaque fois porté par un acteur différent. Concernant ce film, les critiques Mathias Lavin et António Preto ont souligné ce point : "Lonsdale, en Gebo, offre une sorte de miroir à Oliveira."
Gebo et l'ombre a été sélectionné hors compétition au 69ème Festival International du Cinéma de Venise.