Le film est extrêmement tendu, manquant peut-être, d'un soupçon de spontanéité. Mais il est clair, que cette tension réside, essentiellement, dans la production de son concept. Kathryn Bigelow s'y attendait de toute façon. De la documentation au tournage, en passant par la post-production, où toute la métaphysique symphonique, la destiné attique, allait se dévoiler comme un lever de rideau cachant un horizon des plus ténébreux et incertain, produire Zero Dark Thirty (minuit trente en langage militaire), allait être une épreuve des nerfs. Le sujet à d'ailleurs souvent irrité la réalisatrice, tout comme son excellent scénariste Mark Boal. La lourdeur éthique de la tâche ne pouvait passer inaperçu, le manque de spontanéité, la nervosité assumée du porté de caméra, se devait de retranscrire la difficulté du metteur en scène. En cela, le film de Bigelow est une œuvre sincère, mais en certains points inégale. Si la fluidité du récit se ressent, les parties pris sont quant à eux plus ambigus. La prise de risque est omniprésente. L'engagement dans une voie précise, est impératif. C'est donc un réalisme parfois chargé d'aprioris, venant évidement du spectateur, qui se manifeste de manière assez cru. La plus grande difficulté résidait dans la confrontation aux aprioris. Séquences où les corps sont soumis au grand œil du savoir, tortures et compression morbide, elles sont sous le choix d'une vraie démonstration psychique, ou comment un homme peut se défaire de sa normalité pour déchirer la chaire d'une âme. Là aussi le parti pris est lourd, le montage assez prévisible. Le final en revanche, est absolument sublime. C'est dans ce genre de coup de maître artistique, que l'on s'aperçoit qu'un artiste comprend les couleurs et formes qu'ils manipulent. Le noir de la nuit cache son bleu originel, sa couleur de Prusse, enrobant les hélicoptères silencieux et paisibles comme des frelons. Pas une note de musique, seul un montage sonore une nouvelle fois exceptionnelle (Saluons au passage le travail de Ray Beckett et de Paul NJ Ottosson), marque les silences dessinant la cadence progressive des soldats, se ruant vers un dénouement à la dramaturgie symphonique. La fin est comme un conte inachevé, dont les auteurs auraient voulut une issue plus grandiose, plus merveilleuse, mais comme le montre la très belle Jessica Chastain, dont la justesse se déguste comme un plat raffiné, le rêve de toute nation ne peut prendre matière que dans les esprits, ces esprits ne sont pas manipulables comme de l'argile, ou n'importe quelle matière de songe ou de cauchemar, ils se déchirent même au moindre contact, se referment sur eux-mêmes, puis au final, disparaissent dans l'horizon, comme s'ils n'avaient jamais exister, aux yeux de ceux qui prétendaient les rechercher depuis toujours.