En 1874 en Russie on peut divorcer (impossible à la même époque en France), mais quand toute la bonne société pétersbourgeoise est témoin de la passion interdite entre la princesse Oblonski, épouse de l'irréprochable ministre Alexeï Karénine, et un autre Alexeï, le comte Vronski, fringant officier de cavalerie, la séparation officielle est quasi impossible, sans amplifier un scandale colossal (d'ailleurs incarné par la petite Anya, l'enfant du péché, que le mari bafoué va élever comme sienne, au même titre que Serge, l'enfant légitime). Le trio central (la femme, le mari et l'amant) n'épuise pas la verve romanesque de Tolstoï, qui propose en contrepoint le couple Constantin Levine/Kitty Stcherbatski (soeur de Dolly, l'épouse de "Stiva" Oblonski, frère de l'héroïne, charmant parasite, coureur de jupons et père de famille nombreuse), et brosse un tableau général de la Russie d'Alexandre II où le servage n'a été aboli que depuis peu (1861), même si l'essentiel de l'intrigue concerne la noblesse de cour (Karénine, les Oblonski, les Vronski, les Stcherbatski....) ou les grands propriétaires terriens (Levine). Tom Stoppard le scénariste ("Shakespeare in love") a évidemment beaucoup réduit le roman foisonnant (plus de 700 pages denses), même si le film dure quand même 2 h 10. Le parti pris de mise en scène de Joe Wright ("Orgueil et préjugés", "Reviens-moi" : deux fresques romanesques déjà, et déjà avec Miss Knightley) est ce qu'il y a de plus intéressant : une théâtralisation astucieuse utilisant tour à tour l'espace scénique, les cintres et la salle-même de ce qui pourrait être un opéra (et même un opéra de St-Pétersbourg, comme le Kirov) où se succèdent et s'emboîtent les scènes comme autant de tableaux à la dramaturgie millimétrée et aux décors et costumes somptueux (tirant cependant plus vers une esthétique globale "kitsch" que baroque), en alternance fluide avec des prises de vue extérieures. Jude Law campe avec conviction un cocu digne (et plus complexe qu'on ne le croit d'abord), et de façon générale le plus gros de la distribution est digne d'éloges. Sauf (et c'est assez gênant) le couple d'amants : Aaron Taylor-Johnson ("Kick-Ass" !) est trop mièvre et Keira Knightley (aux habituels appas de gamine pré pubère, ce qui la rend peu crédible en grande séductrice) évoluant peu en dehors de la moue et de la minauderie.