La première scène. La scène d'ouverture. Un jeune homme bègue apprend à parler correctement lors d'une séance d'hypnose. Il s'adresse à la caméra, on voit l'ombre de la perche du micro, le ton est donné : Andreï Tarkovski va parler de lui à travers son film, il va se livrer à cœur ouvert à son spectateur, brisant la frontière entre la fiction et la réalité, et la superbe scène d'ouverture place les jalons de l'œuvre à venir.
L'art de Tarkovski est peu évident à aborder. De par sa lenteur contemplative et ses longues réflexions philosophiques sur le bonheur, la foi, l'Homme et le sens de la vie, entre ses fidèles adorateurs et ses inlassables détracteurs il a déchaîné les passions dans la sphère du Septième Art. Ma position est assez claire, à voir mes films préférés et la place de choix que je réserve à Stalker et surtout à Le Sacrifice. Le réalisateur russe astreint beaucoup à la réflexion par ses œuvres exigeantes, mais il sait y incorporer autre chose : une ambiance. Cette ambiance est ce qui déterminera si le spectateur va prendre sa claque cinématographique monstrueuse ou hurler à l'imposture d'un cinéma trop sec et clinique pour s'y sentir impliqué.
À titre personnel je n'ai jamais trop été frappé par l'ennui devant ses films, à la seule exception de L'Enfance d'Ivan qui cependant comporte bien d'autres qualités pour tolérer quelques longueurs. L'exigence des films de Tarkovski sait rendre au centuple ce pour quoi le spectateur s'est battu - arriver jusqu'à la fin sans plisser des yeux - et délivre toujours une beauté et une profondeur vertigineuse qui n'aura de cesse de hanter son sujet pour les jours à venir. C'est d'autant plus triste qu'après avoir adoré des objets de fascination comme Solaris et Nostalghia je me suis mis à méchamment piquer du nez devant Le Miroir...
Revenons à la scène d'introduction, voulez-vous. Le cinéaste parle dans ce film de lui-même, il se remémore des souvenirs qu'il met en images, il nous perd dans les limbes de sa mémoire. Personnellement ce genre de scénarios, c'est totalement ma came, et quand c'est porté par un réalisateur que j'adore autant que le brillant cerveau à l'origine de Stalker je ne vois aucune raison à ce que je reste totalement hermétique au film. Pourtant Dieu sait que j'ai dû m'y coller à quatre fois (en relançant le film depuis le début à chaque fois bien entendu) avant de pouvoir enfin arriver au bout ! Et encore, au bout... mon visionnage a quand même salement été amputé de longues plages de somnolence quoi.
Alors autant mettre les choses au clair : ça ne reste pas n'importe qui derrière la caméra, ni même tenant la plume. On le reconnait le Tarkovski génie plasticien, spirituel dans l'âme (j'adore les pléonasmes), l'atmosphère incorporée dans le récit dans les premières minutes - voire plusieurs dizaines de minutes - est remarquablement efficace et, jouant de la non-linéarité de son intrigue et de partis pris abstraits que j'apprécie tout particulièrement (le choix de la même actrice pour jouer l'ex-femme et la mère du protagoniste, symbolisant la confusion des souvenirs opérés par la mémoire), laisse présager la plus fascinante des autobiographies.
Cela dit... En repoussant toujours plus loin la confusion et les expérimentations, ma fascination s'est vite altérée en perplexité. À redoubler de mystère et s'enfonçant toujours plus dans des directions multiples qui s'entrecroisent, j'ai très rapidement perdu le fil en même temps que le film semblait instaurer une constance dans son intrigue. La narration est non-linéaire, le ton l'est, et c'est au bout de 45 minutes que j'ai commencé à lentement décéder sur mon siège et à sombrer non seulement dans l'incompréhension totale, dans la froideur face aux situations mises en scène et dans l'ennui le plus mortel qui soit. De temps en temps je me rattachai à un plan magnifique, à une scène formellement formidable (la lévitation est vraiment un motif récurrent chez l'ami Andreï, et à voir comment il filme ça je ne m'en plains pas, au contraire).
Qu'un film soit esthétiquement magnifique c'est une chose. Qu'il ait une thématique cohérente et aboutie de bout en bout aussi. Mais qu'il soit désespérément chiant en est une toute autre. Peut-être que je ne suis simplement pas touché par la vie d'Andreï Tarkovski, mais je suis resté totalement insensible à ce qui m'était montré. Alors que ça n'annonçait que du grand pour la suite, la scène d'introduction est le seul élément qui a pu un tant soit peu me faire rentrer dans le film pour une bonne demi-heure où l'atmosphère n'opérait pas trop de fioritures extrêmes.
On savait Le Miroir comme une œuvre infiniment difficile d'accès, la moins appréhendable de son auteur, qui nécessite un visionnage supplémentaire, ou deux, ou trois, sûrement d'ailleurs le reverrai-je un jour pour mieux voir où il veut vraiment en venir, mais quand c'est trop c'est trop, et malgré ma volonté et de rares moments d'extase, j'ai finalement - dans ma fatigante lassitude - sombré dans mes propres onirismes plutôt que dans ceux de Tarkovski.