Ma troisième claque visuelle de l’année après « Taxi driver » et « La dernière tentation du Christ ». Assurément. Et quelle claque ! Il y a obligatoirement un avant et un après « Chromosome 3 ». Car comment rester de marbre devant cette œuvre ? On ne peut pas, tout simplement. Ce métrage fait partie de ceux pour lesquels on réfléchit une fois le film terminé. Eh oui !
Le cinéaste David Cronenberg s’inspire du « Village des damnés » (de Wolf Rilla avec George Sanders) pour nous plonger dans sa réalité, ici si proche de la fiction car le métrage est considéré comme le plus autobiographique de l’œuvre de Cronenberg, alors en procédure de divorce (il ira jusqu’à kidnapper sa fille). Le scénario de « Chromosome 3 » résonne ainsi comme la vraie vie du réalisateur. Etrange, non ?
Scénario : un psychiatre invente et applique une thérapie révolutionnaire à ses malades sans prendre conscience des effets secondaires particulièrement indésirables, surtout chez une de ses patientes… .
Dès la scène d’introduction, en une ouverture théâtrale redoutablement efficace et prenante, le ton est donné, de même que l’ambiance, misogyne, anxiogène et délétère, la plasticité et la technicité du métrage appuyant ce côté abrasif de l’intelligence du métrage. Les couleurs méticuleuses et la photographie horrifique et délétère de Mark Irwin (commençant sa carrière sous la coupe du réalisateur canadien –« Scanners », « La mouche »-, il travaillera pour les besoins de « Scream », « Mary à tout prix »…), les costumes également dirigés par le directeur artistique Carol Spier (collaborateur attitré de Cronenberg depuis ce métrage -« Videodrome », « Faux-semblants », « A history of violence » et « Maps to the star »- sans oublier quelques incursions horrifiques telles « Silent hill » et « Carrie, la vengeance »), les partitions lancinantes et mirobolantes d’Howard Shore (lui aussi lancé par le cinéaste, il s’illustrera ensuite chez Scorsese, David Fincher, Peter Jackson) participant à la terreur propre du film, tout concoure à une réussite totale du point de vue artistique et technique. Idem niveau scénario (point que j’aborderai plus bas) signé par Cronenberg lui-même.
Au casting, on relèvera une interprétation assez mitigé malgré la présence hautement charismatique du regretté Oliver Reed (débutant dans « Les deux visages du Docteur Jekyll » de Terence Fisher et ayant son dernier rôle dans « Gladiator », il sera passé par « Les trois mousquetaires » de Richard Lester, « Larry Flint »…) dans la peau d’un psychiatre qui pète les plombs, et de Susan Hogan (elle aussi débutante, on la retrouvera dans « Croc-blanc » puis dans des séries comme « Brigade spéciale », « The L world »…) qui trouve dans son personnage une part de féminité tout à fait appréciable dans un métrage complètement acide concocté par l’artiste Cronenberg qui se fait donc ici metteur en scène et scénariste.
Avec un synopsis à double tranchant et diablement redoutable, Cronenberg nous captive en nous montrant un drame humain. Comment un couple dont la femme dépressive vit recluse dans une institution gardée par un psychiatre vicieux et retors arrive à s’en sortir ? D’autant que le mari qui a la garde de l’enfant n’arrive pas à rassurer sa fille. Avec des procédés totalement illicite et un programme thérapeutique qui vise à déchaîner les pulsions meurtrières de sa patiente, le psychiatre (un diabolique Oliver Reed, rappelons-le !) tente de garder le contrôle jusqu’à un point de non-retour. Nés de sa prétendue thérapie, des enfants-tueurs sans pitié s’en prennent à l’entourage de la fille à cause d’un traitement que subit la femme. L’on est ainsi embarqué dans un film d’épouvante dans lequel la plasticité du métrage est nickel. L’on baigne dans l’horreur pure lors de moments intenses, nerveux, comme l’assassinat de la grand-mère ou de la maîtresse (brillamment incarnée par Susan Hogan). Le film est ainsi hanté par la terreur de la maternité, soulignée par la mise en scène fermée et anxiogène du futur réalisateur de « Existenz ». Les thèmes de prédilection de David Cronenberg sont ainsi abordés : sexualité, corps comme terrain d’expérimentation, médecine et psychanalyse. Cette étude du cerveau humain est ici commandée par l’artiste Cronenberg qui trouve en la femme internée son double, son alter-ego au cinéma. Les enfants-tueurs, qui prennent vie par l’esprit de Cronenberg et donc de sa pensée, matérialisent l’ego du réalisateur afin de nous recentrer sur une pensée unique, la sienne. L’humanité qu’il en découle reste digne du final qu’il nous propose. Ou pas, car l’on peut le voir d’une autre façon (se faire sa propre opinion en regardant le film). Ou tout simplement, en voyant le mal triompher, ce qui aurait sans doute plu au metteur en scène de « Cosmopolis ». Il démontre ainsi qu'un film d'horreur peut apporter une réflexion aboutie sur des problèmes de société comme la dépression. Le film se terminant en un film d’horreur réussi puisque l’horreur, totalement soutenable, ne bascule pas dans le gore atroce et vicieux. L’horreur se fait viscérale, de la vue des organes de la mère jusqu’au final, en passant par le massacre des enfants-tueurs. Toujours dans une ambiance noire, délétère et anxiogène magnifiée par la bande-son d’Howard Shore, languissante à souhait.
Pour conclure, « The Brood »(1979), cinquième ou sixième long-métrage de Cronenberg et considéré comme l’œuvre la plus brutale du cinéaste, se trouve être le tournant de la carrière de Cronenberg. Il s’agit également d’une réflexion ouverte sur les traumatismes. Chef d’œuvre épouvantable à ne manquer sous aucun prétexte !
Spectateurs en dépression, attention aux traumatismes indésirables !
Interdit aux moins de 15 ans.
PS : le producteur de « Chromosome 3 » n’est autre que Claude Héroux qui officiera sur des productions ‘choc’ tant sur « Cité en feu », « Au nom de tous les miens » que pour son cinéaste favori : David Cronenberg (« Scanners », « Videodrome »).