Les adorateurs de Woody Allen citent en général 3 films comme sommets de l’œuvre du maître : "Manhattan", "Annie Hall" et "Hannah et ses sœurs". Bien que j’ai toujours considéré cette limitation un peu stupide (surtout au vu des excellents films qu’il nous a livré récemment comme "Minuit à Paris" ou "Blue Jasmine"), je comprends l’engouement pour "Manhattan" et "Annie Hall", tant ils résument l’état d’esprit du réalisateur tout en faisant preuve d’audace visuel. Je suis plus mesuré pour "Hannah et ses sœurs". Certes, on retrouve les névroses alleniennes habituelles avec ces héros en perpétuel questionnement sur le sens de la vie, de l’amour, de la mort, etc… On retrouve, également, ses terrains de jeux favoris, à savoir le couple en crise et la peur de la maladie (le réalisateur s’est réservé un nouveau rôle d’hypocondriaque savoureux). Enfin, le ton tragi-comique est toujours aussi bien distillé puisque Woody Allen parvient à dresser un portrait assez terrible de la vie de couple (la tentation de l’adultère, le désir qui s’effrite, le goût de l’inconnu et de l’interdit comme moteur…) sans pour autant renier son ton délicieusement décalé qui fait tout le sel de son cinéma (ses dialogues, assénées avec sa diction si particulière, ses cassures de rythme et son sens de l’absurde sont, sans surprises, les moments les plus dôles du film). Pourtant, Woody Allen est étonnement en retrait dans ce film qui est, avant tout, le portrait terriblement pertinent de trois sœurs (Mia Farrow, Barbara Hershey et Diane West), avec tout ce qu’un tel portrait suppose d’amour, de rancoeur et de non-dits. Et, là encore, le réalisateur frappe juste puisqu’il évite le piège du portrait manichéen (avec 3 sœurs affublées d’un seul trait de caractère, par exemple) et, grâce à la formidable interprétation de son trio d’actrices, brille par la subtilité de son propos… même s’il n’évite pas toujours l’écueil habituel de son cinéma (où on se pose tout de même beaucoup de question au point de rendre les dialogues, parfois, un peu artificiels). Les hommes ne sont pas en reste dans ce casting avec, outre Woddy Allen himself dans son emploi habituel, un Michael Caine surprenant en mari tenté par sa belle-sœur et un Max Von Sydow amusant en artiste intransigeant. Il est, d’ailleurs, intéressant de noter que, une fois de plus le réalisateur offre au public masculin un miroir assez peu reluisant de ses travers… preuve, s’il en était encore besoin, du ton définitivement féministe de la filmo du maître. Dès lors, quel est le problème avec "Hannah et ses sœurs" ? A mon sens, il s’agit de la mise en scène ou plutôt du choix de segmenter le film en plusieurs tranches de vie (effet appuyé par les cartons d’introduction), censées montrer l’évolution de la fratrie… sans pour autant se ménager un véritable fil conducteur. Dès lors, le film m’a paru un peu longuet et souvent bordélique dans sa structure… au point de ressembler, parfois, à un film à sketchs, alourdi par une utilisation trop appuyée de la voix off. Autre défaut plus involontaire, l’époque du film, à savoir le début des années 80, qui a assez mal vieilli (contrairement à des films plus anciens mais plus stylisé et, donc, moins marqué, tels que "Manhattan"). Enfin, plus anecdotique, le scène finale du film avec
un Woody Allen en pleine déclaration d’amour ponctué de baisers appuyés à sa nouvelle compagne m’a un peu désarçonné, tant l’image du réalisateur me parait à des années lumière d’un personnage sexué, (et ce malgré ses problématiques très sexuelles)
. "Hannah et ses sœurs" est, donc, certes, un bon film mais que je n’ai pas trouvé au niveau des chef-d’œuvres de Woody Allen.