Bien qu'il soit plus aisé de mettre en évidence les éléments idéels caractérisant un chef d'œuvre, il apparaît que, parfois, un excellent réalisateur réussisse à transposer dans notre monde réel ces différents critères constitutifs, pour nous gratifier d'une création cinématographique soignée et saisissante, tant sur le plan de l'image et du son, que des thématiques abordées. L'art de manier la caméra est d'ailleurs particulièrement bien exploité, avec des impressions de supériorité et d'infériorité articulées de manière dynamique tout au long de cette œuvre, renforcées en cela par l'usage du noir & blanc.
Le grand David Lynch a donc réussi un tour de force, en portant à l'écran l'histoire de l'infortuné John Merrick, en la développant tant sur le plan de la construction individuelle de l'être humain, que de sa tentative d'intégration à un environnement hostile. En d'autres termes, le réalisateur réussit la prouesse de bâtir à la fois les interactions du personnage avec le monde extérieur, mais aussi les éléments de sa propre naissance en tant qu'être pensant, découvrant sa propre humanité. Mais limiter le propos du film à la seule découverte d'une humanité serait des plus réducteurs, dans la mesure où les propos primaires et secondaires se nouent et se connectent tout au long de ce film. Pêle-mêle, peuvent être relevées, de manière non exhaustive cela s'entend, les thématiques de la peur, à la fois de la civilisation pour l'inconnu, mais aussi de l'inconnu pour la société humaine, ainsi que celle relevant de l'amour filial et du lien tissé entre un enfant et sa mère, tout comme celle de la perversion et du voyeurisme symbolisée par les multiples regards portés par les autres personnages sur le sieur Merrick.
Par ailleurs, ce film est d'autant plus saisissant que sa distribution est maîtrisée, tant dans les premiers que dans les seconds rôles. A titre personnel, la prestation de Sir Anthony Hopkins est à relever, dans la mesure où l'on voit le personnage osciller sans cesse entre son désir de venir en aide à John Merrick et son devoir, en tant que docteur, d'en apprendre plus sur le mal qui tiraille ce même personnage. Il est ainsi tiraillé entre son obligation morale de préserver John Merrick de la souffrance physique et psychique, et la nécessité sociale et économique de faire naître l'homme des cendres de l'homme éléphant. Et que dire de la performance de Sir John Hurt... Grimé de cette manière, l'acteur réussit tout de même à explorer un panel relativement conséquent d'émotions humaines, et à nous les communiquer par un demi-regard, une posture, ou de simples mouvements de corps. Les scènes « violentes » sont ainsi des plus significatives de cette prouesse.
En conclusion, je souhaite porter à votre critique positive ou négative ces différents éléments, faisant du film The Elephant Man, l'un des chefs d'œuvre du Septième art. Combinant à la fois la maîtrise des éléments techniques propres à l'art cinématographique, disposant d'une musique légère et non intrusive accompagnant à merveille la narration, mais aussi d'une distribution cohérente et stimulante, et d'un propos pluriel, il constitue à n'en pas douter, l'une des pierres angulaires de cet art que nous chérissons toutes et tous. Je finirai donc, sur ces quelques mots empruntés au personnage principal, et représentant bien son humanité, et la non humanité de ses tortionnaires :
« Non ! Je ne suis pas un éléphant ! Je ne suis pas un animal ! Je suis un être humain ! Je suis un homme ! »