Elle-même d'origine turque, Feo Aladag, actrice de nationalité autrichienne, aborde la "charmante" tradition des crimes dits "d'honneur", en passant à la réalisation (étant également à l'écriture, et même à la production !). En ce début de 21e siècle, ces horreurs sans nom n'existent plus (heureusement !) que dans certains pays, dont justement la Turquie. Laquelle, opportunément laïcisée par Kemal Atatürk entre les Deux Guerres, est en voie de réarriération accélérée depuis quelques années, avec le retour en force de l'islamisation tous azimuts de la société civile. Or, de nombreux Turcs s'expatrient en Europe, notamment en Allemagne (seraient plus de 3 millions). Avec famille et traditions. Les crimes d'honneur concernent alors les pays d'accueil de ces immigrés ! Umay (peut-être née en Allemagne, en tout cas y ayant grandi) est une fille aimante et docile. Elle est donc mariée jeune à la convenance de son père, Kader, avec Kemal qui possède un bar à Istanbul. Son mari la bat, la viole, et traite rudement le petit Cem, leur fils. Elle retourne à Berlin avec l'enfant (
aussitôt après avoir avorté
). La jeune femme est bien décidée à gagner son indépendance (entreprend de terminer son cursus secondaire, interrompu par le mariage forcé, en suivant des cours du soir, tout en travaillant dans un restaurant de collectivité, pour assurer la matérielle), mais son père ne l'entend pas ainsi. Elle est mise au ban de sa famille, de sa communauté aussi. Si cette forte personnalité n'a cure de l'ostracisme convenu de la société turque de son quartier-ghetto, elle souffre d'être éloignée de ses parents, soeur et frères (surtout de Acar, le plus jeune, dont elle s'était beaucoup occupée en qualité de fille aînée). Le climat anxiogène paraît propice au drame - qui n'arrivera pourtant pas comme attendu.
Le communautarisme, qui interdit toute assimilation (voire pratiquement toute intégration, même partielle) est une plaie pour les sociétés occidentales qui y sont soumises, conséquemment à la mondialisation agressive et à la disparition des frontières. La triste histoire d'Umay en est une parfaite illustration.
La réalisation est parfaite de modestie et de fluidité. Feo Aladag construit, par petites touches, sa dramaturgie implacable. Tout en évitant la surcharge émotionnelle, et le surlignage facile.
Docufiction très efficace, et un beau portrait d'"insoumise" - Sibel Kekilli est remarquable, d'émotion et de sobriété à la fois, dans le rôle-titre. "Etrangère" multiple, écartelée entre 2 univers antithétiques (l'Occident et l'Orient), tiraillée entre rester une éternelle mineure (comme le veut l'islam, religion judiciarisée qui fait la part très congrue aux femmes dans la société) et être assurée ainsi du respect collectif, comme de l'amour de sa famille, et s'assumer en tant qu'être humain libre, sûre de perdre ses repères familiers et familiaux....