On ne doute pas un seul instant du bien-fondé de l'histoire que L'étrangère nous raconte. Si le film ne le dit pas, et c'est là une de ses lacunes, elle est universelle, et peut se dérouler dans n'importe quelle famille traditionnelle de tous les continents et de toutes les cultures. L'étrangère est un kidnapping. Il nous place dans une situation fermée, nous forçant à en voir les horreurs sans issue possible. L'insupportable fin, surenchère nauséabonde qui vient clore un récit masochiste, est à l'image d'un film qui se plaît à martyriser tout autant son héroïne que ses spectateurs. Film d'une seul voix à sens unique, démonstration pesante, ne laissant à ses personnages aucune marge de manœuvre, aucun n'évoluant réellement tout au long du récit, L'étrangère provoque le rejet au lieu de la compassion recherchée. La trajectoire d'Umay, se heurtant sans arrêt au mur de sa famille, y revenant sans cesse, s'y cognant de plus en plus violemment, s'en affranchissant à demi tout en demeurant victime, ne suscite pas l'empathie. Ses parents, frères, sœur, que la narration cherche à nous montrer de manière "humaine", se retrouvent tellement enfermés dans leurs archétypes, qu'ils en deviennent abstraits. Ce fond étouffant n'est sauvé en rien par une mise en scène appliquée, sorte d'application sans âme des "1000 et 1 trucs du film d'auteur" : piano récurrent, plans fixes silencieux d'un personnage tournant le visage pour exprimer sa profondeur, plans de coupe quasi systématiques, premier plan net, arrière-plan flou et vice-versa, photographie léchée, cadre précis... une jolie mise en scène dont la stérilité se pose en stricte décalage avec l'histoire qu'on nous raconte. On préfère de loin l'inconfort volontaire dans lequel Kechiche nous place dans une Vénus noire dont l'intelligence pré-suppose un choix de mise en scène, un point de vue narratif, du cinéma quoi. La démarche est tellement lourde qu'on en vient à douter des intentions de la réalisatrice, si elle ne sauvait la face grâce au seul personnage subtil du film, la patronne d'Umay, malheureusement trop en marge. Alors oui, les acteurs sont bons, la belle Sibel Kekilli en tête, oui l'intention est bonne, mais pas le film.