Bon à Tirer ne fait pas dans la finesse, mais sa vulgarité générale dit quelque chose du thème qu’il investit – la tentation de l’infidélité chez les cadres quarantenaires américains – puisqu’ici les quiproquos, les scènes de libération conjugale qui tournent au cauchemar, révèlent l’illusion dans laquelle vivent les personnages, une illusion qui les aveugle et gouverne leurs désirs, une illusion qui résulte d’un dysfonctionnement sociétal entre valeurs anciennes (le puritanisme congénital de la société américaine) et une hypersexualisation des corps dont les formes font l’objet d’une capitalisation proche de la marchandisation : on se retrouve devant la salle de fitness, puis dans les soirées branchées, lieux d’exhibition tout autant que d’entretien de cette captivité source de frustration sexuelle. Le film des frères Farrelly travaille la notion de double – comme souvent dans leur cinéma –: deux couples, deux « bons » accordant des vacances conjugales, deux amis dont les rôles finissent par s’intervertir, deux niveaux de réalité : celle, quotidienne et banale, de la famille, une réalité que l’on ne voit plus et dont seule l’absence fait prendre conscience, que seule l’absence fait regretter ; celle d’une liberté totale soi-disant recouvrée, liberté d’avant le couple, d’un raccord à l’adolescence qui équivaut en fait à un face-à-face avec sa solitude profonde et ses rêves chimériques. Le film interroge le désir en tant que puissance d’attraction autour d’un centre vide, le manque qui, une fois comblé ou donné pour accessible, exhibe sa vacuité. N’oublions pas non plus les trouvailles en matière de comédie que nous réservent les Farrelly : d’un mauvais goût assumé, certes, mais fort drôles ! Bon à Tirer est un petit film potache, une réussite mineure dans la carrière de Bobby Farrelly et Peter Farrelly, mais se saisit d’un mal sociétal par le biais du divertissement. C’est déjà pas si mal.