J'ai re-visionné hier (janvier 2020) ce vieux standard des années 70 que je n'avais plus revu depuis 30 ans. J'ai retrouvé l'atmosphère mélancolique qui m'avait glacé à sa découverte, ses décors glauques, promis à la démolition, d'un Paris de grisaille où le soleil n'apparaît jamais.
Hors des scènes d'extérieur où un Jean-Pierre Léaud monté sur ressort se prend pour Truffaut, flanqué d'une équipe technique qu'il malmène, occupé qu'il est à tourner un film d'art et d'essai sur Jeanne (Maria Schneider) sensée être sa petite amie, on ne sait jamais vraiment où on se trouve dans ce film, on hésite entre soûlographie, bad trip et cauchemar consécutif à une mauvaise digestion.
Brando campe ce qu'on appellerait aujourd'hui, poliment, un marginal et moins poliment un cassos'. On ne comprend pas trop ce qu'il fiche accagnardé dans un recoin de l'appartement à l'état de ruine que visite la pulpeuse Jeanne. Elle le surprend là, pas plus effrayée que ça, au coin de la cheminée où elle se propose d'installer un fauteuil. Lui oppose qu'il verrait plutôt le fauteuil face à la fenêtre. A cela, plutôt qu'à son accent, elle comprend qu'il est Américain. La scène s'achève dans une sauvage étreinte où la seule dimension véritablement érotique tient au craquement du collant de Jeanne, que Paul (Brando) arrache.
Le reste du film est à l'avenant. On saisit laborieusement que Paul s'est arrêté un jour dans un hôtel borgne dont il a épousé la tenancière, laquelle vient de se suicider dans une baignoire qu'une employée (Catherine Allégret) débarrasse consciencieusement de ses taches de sang. Hôtel borgne dont l'unique occupant est l'amant de la disparue, un type pas clair qui découpe des articles de journaux, dont la seule fonction dans ce scénario quasi psychédélique est d'induire le doute chez le spectateur qui ne s'est pas encore assoupi. La dame s'est-elle suicidée, ou Paul, par dépit amoureux, lui aurait-il tranché les veines au moyen du rasoir-couteau dont il se sert pour se raser ? Où est-ce l'amant qui aurait commis le crime avec ses ciseaux ?
On range l'amant dans sa boîte, on remise la belle-doche dans ses préparatifs de funérailles et on pose la morte sur le lit d'une chambre d'hôtel, cernée de fleurs, comme s'il n'existait pas à Paris, en 1971, une morgue dûment équipée. La scène de la vieille prostituée et de son micheton qui s'enfuit par les ruelles sordides jouxtant le chantier de la tour Montparnasse - micheton que paul s'en va, sans raison logique, passer à tabac -, les inserts montrant un car de CRS en faction sous le viaduc où passe et repasse le métro, semblent les composants d'un cauchemar de malade sous l'emprise d'une forte fièvre.
Brando passe la majeure partie du film allongé, affalé, accagnardé, à soliloquer, à grignoter. Le reste du temps, il tripote Jeanne. Jeanne après qui courrent Léaud et son caméraman, son éclairagiste, son preneur de son. Léaud qui cherche à nous convaincre, à la convaincre, à se convaincre, que Jeanne est sa petite amie qu'il va épouser. Léaud qui joue faux comme Léaud a toujours joué faux de sa voix de fausset qu'il semble n'avoir jamais réussi à placer correctement. Maria Schneider joue faux aussi. Elle dénoncera longtemps après la fameuse - et pour tout dire répugnante - scène du beurre, qui ,n'aurait pas figuré dans le scénario et dont elle dira n'être pas sortie intacte. Si longtemps après que c'est à se demander pourquoi elle ne l'a pas fait à la sortie du film, pourquoi elle a attendu tant de temps pour le faire - on intentait déjà des procès pour viol dans les années 70.
Au seuil de cette décennie où la libération des moeurs concerna davantage le cinéma et la littérature que la vie réelle et les vraies gens, Maria Schneider ne fut pas la seule actrice à aborder une carrière sous l'angle d'un érotisme mal ficelé.
"Le dernier tango à Paris" apparaît aujourd'hui comme un malentendu. Le film fit scandale à sa sortie, mais ce fut un scandale concerté, organisé autour d'un film qui se voulait délibérément dérangeant et qui n'est que dégoûtant. Jean-Claude Brisseau tourna par la suite des films vraiment dérangeants et qui ne dérangèrent qu'après coup. Jean-Pierre Mocky se risqua sur ce même terrain avec talent, sincérité et humour. "Le dernier tango" aurait pu avoir été signé par un Max Pécas. Sa dimension historique tient à la présence de Brando, et ça s'arrête là.