1957, Akira KUROSAWA pose la première pierre de son triptyque dédié aux adaptations des œuvres majeures de Shakespeare, en signant avec Le Château de l araignée (1957) une œuvre époustouflante sur la barbarie humaine, la soif de pouvoir et la folie dévastatrice.
Suite à un combat victorieux, deux chefs de guerre, Washizu et Miki, sont égarés dans une mystérieuse et inquiétante brume au sein de la forêt de l'araignée, les chevaux paniquent et nos deux héros semblent incapables de sortir de ce lieu oppressant. C'est alors qu'un chant se fait entendre et qu'ils voient apparaître devant eux, une femme étrange à l'allure spectrale qui file la laine en utilisant un rouet. Là on pensera aux divinités grecques de la destinée, les Moires, ces sœurs qui présidaient à la vie des hommes l'une en tirant le fil de la vie, la deuxième en le déroulant et la troisième en le coupant, mais également à l'un des attributs de la déesse Athena, l'art du tissage à comprendre dans sa symbolique liée là aussi à la destinée et qui associée à la sagesse devrait aider l'humanité à faire les bons choix.
Les prophéties reçues par ces hommes sur leur prochaines attributions sont accueillies avec un certain scepticisme jusqu'à ce que le seigneur pour qui ils ont combattu et remporté la victoire, leur octroie les fonctions, postes et honneurs annoncés.
Le triomphe qu'a été son précédent film, Les Sept samouraïs (1954), incite la Toho, la société de production qui gère la plus part des films du maître japonais à lui confier un des budgets les plus importants du cinéma d'alors. Kurosawa laissera libre court à ses ambitions pour réaliser une œuvre dantesque, il a même fait construire une citadelle sur les pentes du mont Fuji.
Le film est à la fois un monument du minimalisme, qui tient presque de l'épure, un hommage au théâtre nô dont l'économie de geste confère une profondeur aux textes et aux messages rare, tout est juste, précis, ni trop ni pas assez, il cite l'expressionnisme allemand des années 20, par l'usage d'une photographie noire et blanc absolument fascinante dont les contrastes répondent aux tourments et desseins contrariés des héros. Le film évoque aussi dans son ambiance, dans cette maléfique dame Asaji, véritable lady macbeth de l'enfer, celle qui tire les ficelles de la destinée à son unique plaisir et avantage, les premiers films d'horreur du Hollywood des années 30.
Conciliant en un film stupéfiant de beauté les cultures japonaises et occidentales, en fondant son récit tant sur les mythes fondateurs, que leur interprétation shakespearienne ou la tradition millénaire de l'empire du soleil levant, Kurosawa signe sans doute l'un de ses films parmi les plus essentiels de sa filmographie.