« Here's my story : it's sad but true, it's about a girl that I once knew, she took my love then ran around, with every single guy in town. Runaround Sue... »
Décalé, original et plein de vie, c'est ce qu'est Deep End. Dans une Angleterre des seventies Mike est un adolescent qui découvre l'âge adulte avec une certaine insouciance. C'est cette insouciance qui va le poursuivre tout au long du film et en faire un personnage vraiment attachant : impulsif et maladroit, difficile de ne pas voir en lui l'ado que nous avons tous été, avec nos rêves romantiques et nos fantasmes érotiques. Mais ses rêves et ses illusions sont toujours rattrapés par la réalité, lui, cet homme qui n'est encore qu'un enfant et qui ne devrait pas rêver trop grand.
Après avoir dégoté son premier emploi il va se mettre à nouer une complicité avec sa collègue, la sublime Susan, en qui il voit presque un ange, perdant peu à peu la raison pour laisser place à la passion, incapable de décrocher ses yeux de cette rousse au visage d'or. C'est un jeu d'abord innocent puis de plus en plus encombrant qu'il va mener pour essayer, non pas de la conquérir, mais de la comprendre. Cette jeune femme frivole est déjà prise et s'apprête à se marier, mais son comportement épicurien rend fou tous ceux qu'elle croise, et il devient impossible pour notre personnage de savoir ce qui se cache derrière ces traits parfaits et ce sourire figé.
Elle devient pour lui une image, comme une immense affiche pleine de promesses, s'offrant à lui. C'est peu à peu le rêve qui prend les devants sur la réalité, et ce n'est pas Sue qu'il poursuit, mais un concept, celui de l'amour absolu. Après tout, on nous le montre sans cesse, ce n'est qu'un gosse qui ne sait pas faire autre chose que de suivre ses envies. La caméra gigote à ses côtés, avec cette même hésitation adolescente, ce même gêne ; et tout ce qui a trait à la sexualité est presque mystifié pour coller à cette image d'incertitude. Alors que l'obsession ne cesse de croître, l'importance de Sue à ses yeux devient si intense qu'il ne peut plus la quitter. Il est prêt à braver toutes ses peurs pour elle : sauter du haut d'un plongeoir, courir nu en plein hiver, crever les pneus de la voiture d'un professeur... C'est le monde qui n'a plus de limites pour lui car après avoir rencontré Sue il s'en est créé un nouveau – de monde – et elle en est l'épicentre. Tant qu'il la voit, qu'il la sent, qu'il la touche, qu'il l'aime, rien ne peut lui arriver.
C'est ce romantisme infantile, cette mélancolie colorée, qui devient le propos du film, où Mike et Sue semblent créer un espace-temps à part où les autres n'ont pas leur place ou alors une place déformée. Du fantasme inassouvi à l'amour impossible transite cette souffrance intérieure, qui laisse Mike piégé par ses propres pulsions et sentiments, incapable de retrouver la voie de la raison, contraint à toutes les folies pour rester avec Sue, un peu plus longtemps, avant qu'elle ne s'envole définitivement.
C'est une histoire drôle et émouvante, qui nous lie avec ce jeune homme perdu dans une cité hostile, toujours en retard, toujours derrière l'image, derrière le fantasme, les bras tendus, sans jamais pouvoir le toucher, comme s'il courrait sur place dans un rêve éternel. C'est en surplombant une piscine vide que la sirène l'a attiré, quelque part dans les tréfonds de la vie, où ne réside plus que la désagréable impression de laisser filer l'amour entre ses doigts. Le romantisme visuel et les musiques ardentes donnent à Deep End une touche unique, qui fascine par ce récit simple mais subtil et qui nous envoûte au plus profond d'une poésie désenchantée où la muse n'est qu'un polaroid qui disparaît, trait après trait, dans un déchirement fatal...