La Terre de la folie a été présenté en 2009 au Festival de Cannes dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs. Il a également été sélectionné par le Festival du Film grolandais de Quend, où Luc Moullet a remporté le Prix d'interprétation masculine.
Luc Moullet explique son projet : "Ce qui compte surtout ici, c'est la description des faits et causes de la folie dans le Pentagone. C'est la première fois dans l'histoire du cinéma (et même de l'écrit) qu'on essaie de faire une synthèse sur le sujet. Jusqu'ici, il n'y a eu que quelques écrits limités à un seul département (en fait il y a trois départements concernés : 04, 05 et 26) et qui mêlent folie et crimes crapuleux. Et puis il y a l'omerta, qui existe aussi pour ce qui est des retombées de Tchernobyl en terre gavotte. Mais bien des choses se disent à la fin d'un bon repas, après le digestif..."
Luc Moullet livre quelques hypothèses concernant la prolifération d'actes de folie dans les Alpes du sud : "La folie est liée au fait que les Préalpes du Sud sont une région reculée, difficile à atteindre. Les crétins des Alpes... Toutes nos montagnes sont concernées, sauf les Pyrénées. Pourquoi cette exception ? Parce que ce ne sont pas des montagnes vraiment reculées... C'est une barrière très courte, franchissable en 30 bornes. Donc pas de terres reculées. Alors que les Alpes, avec leurs Préalpes, sont larges de 200 kilomètres. Bien, mais pourquoi la folie perdure aujourd'hui, alors que, l'auto y aidant, l'isolement a disparu ? D'abord, parce qu'il n'y a là ni alpinisme ni ski, donc pas grand monde, donc pas de témoins ou d'hommes qui s'interposent. Et puis parce qu'il y a ici une tradition, une émulation qui existe (puisque untel a tué, pourquoi pas moi ?) Et puis, parce que ce désert attire les marginaux, et donc les conflits entre marginaux et locauxterre à terre. Il y a aussi le syndrome de Tarifa. Tarifa, c'est cette cité andalouse où il y a beaucoup de vent, donc beaucoup de fous. Enfin, il y a mille raisons. Je les énumère, sans en privilégier aucune (...) Ici, ce qui nous intéresse, c'est l'enquête, la recherche de la vérité."
Si les crimes relatés dans le film ont forcément une dimension tragique, l'humour n'est pas absent de La Terre de la folie. Le pince-sans-rire Luc Moullet fait remarquer : "Certains peuvent s'étonner de la présence du comique à l'intérieur de toutes ces histoires réelles si tragiques : plus de 40 morts. C'est que ce déferlement d'horreurs engendre une réaction de défense sous la forme du rire. Et puis les réactions des meurtriers, des fous sont tellement insolites, saugrenues qu'elles suscitent forcément le rire. Dans la réalité de la vie, comique et tragédie sont intimement liés (...) Je crois que dans le monde, tout fonctionne sur des unités binaires, contradictoires mais insécables, qui sont la seule vérité, religion et athéisme, art et industrie, pacifisme et bellicisme, judaïsme et islam, raison et folie, amour et haine, comique et tragique, etc... Et n'oublions pas que le tragique est nécessaire au comique, c'est un obstacle que la vis comica doit surpasser. Sur ce principe, est fondée toute l'oeuvre de Chaplin (Les Temps modernes, Le Dictateur, Monsieur Verdoux, Un Roi a New York, Jour de Paye, Charlot soldat, Le Pélerin La Ruée vers l'or Le grand défi des comiques (Chaplin, Lubitsch, McCarey, Lewis, Benigni) a été de filmer le nazisme et la Shoah."
A propos du petit budget de ses films, Luc Moullet confie : "Je n'ai pas de gros besoins. Je n'ai même pas l'idée de nouveaux achats à faire. Mes films sont de la même eau. De toute façon, le film le plus cher d'un cinéaste est presque toujours le plus mauvais, ou en tout cas plutôt décevant : Cléopâtre de Mankiewicz, Les 55 Jours de Pekin de Ray, L'Etau Hitchcock, Le Messie de Rossellini, La Terre des pharaons de Hawks, Simon le pêcheur de Borzage, Le Sang des autres de Chabrol, La Sirène du Mississippi de Truffaut, Tout va bien de Godard, Ali Baba de Becker, Salomon et la reine de Saba de Vidor, Un sac de billes de Doillon, L'Armée des Ombres de Melville, La Chute de l'empire romain de Mann Casanova de Fellini, Napoléon de Guitry, Pages arrachées du Livre de Satan de Dreyer. Les Dix commandements de Cecil B. DeMille qui a coûté 13 millions de dollars reste très inférieur au The Kindling du même auteur, tourné pour 10 209 dollars. Normal, un gros budget est difficile à maîtriser, et puis il y a toujours un cahier des charges assez lourd. Toute règle engendre des exceptions : Tati, Ophüls. Je me souviens que Doillon avait dit à Brisseau : " Ne fais jamais de film de plus de 10 millions de francs. Au-delà, on va te faire chier ". Cette histoire de fric, c'est des conneries. Un de mes films avait fait un tabac à un festival. Et il avait coûté 56 000 francs, très peu donc. Et le film d'un confrère n'avait pas plu du tout. Un de ses amis lui avait fait des reproches. Et notre cinéaste avait répliqué : " Bah, qu'est ce que tu veux que je fasse avec seulement 300 000 francs... ". Le manque de fric c'est l'alibi du cancre (...) Louis Daquin me disait un jour en rigolant : " Luc, si on te donne 40 millions de francs pour faire un film, je suis sûr que tu préfèreras tourner 20 films avec cette somme " (...) On peut comparer aux romans : on ne fait pas forcément de meilleurs livres avec un vocabulaire de 20 000 mots au lieu de 2000. La Joconde aussi, c'est bien mieux que les immenses fresques de David."
Luc Moullet reconnaît que son cinéma laisse peu de place à l'improvisation : "C'est vrai, j'improvise peu. En cela, je suis dans la lignée, à quelques étages en dessous, de Rohmer, de Hitchcock surtout : je suis un inadapté – qui essaie de compenser par une suradaptation un peu scolaire – je ne suis pas sûr de moi-même, je me sens comme un usurpateur, un velléitaire. Et j'aime bien avoir tout préparé sur papier quadrillé. Mais je suis bien conscient de ce défaut. Le cinéma (et l'art en général) en est à un stade où tout a été fait et dit, où on ne peut progresser que grâce au hasard, à l'aléa. Mais comme presque tout est écrit noir sur blanc, je peux me permettre, en plus, d'avoir quelques blancs à remplir ou à sauter. Dans le cadre du documentaire, c'est nécessaire, évidemment. Ce qu'il y a de meilleur, dans Genèse d'un repas , c'est le plan très émouvant des mômes qui, tout joyeux, portent sur le dos 40 kilos de bananes en poussant des cris. 5 minutes avant, je ne savais pas que j'allais tourner ça. Dans La Terre de la folie, lors de l'entretien avec la dame qui parle très vite, je ne savais pas du tout ce que ça allait donner : une bouteille à la mer (...) Mais ce ne sont que de petits appendices. L'aléa ne constitue jamais la colonne vertébrale du film, comme chez Rivette."
Luc Moullet qui, dans La Terre de la folie, recense des actes de démence, revient sur son goût pour les listes : "Les listes, c'est bien pratique pour la préparation d'un film. Tout le monde fait ça. Dans mon cas, ça sert aussi pour le corps même du film. Je crois que tout art, surtout moderne, est fondé sur des listes, des énumérations. Voyez Homère, Joyce, Dos Passos, Ellroy, Soljenitsine, DeMille. Sous-entendu, ça peut être de fausses listes. Le faux art, c'est l'épithète poétique, le chichi, le décoratif. Et c'est celui qui fait la plus longue liste qui est le meilleur. Oui, c'est vrai, c'est un principe qui ne peut être exclusif. Ce n'est pas l'art de Henry James, de Nick Ray, de Pialat, de Cassavetes, de Visconti. La liste traduit aussi une certaine inadaptation au monde, qu'on essaie ainsi de compenser par l'accumulation. Elle exprime aussi une volonté d'assimiler l'immensité du monde moderne."