Mon premier visionnage de ce film remonte à quelques années. J'étais tombé par hasard sur un extrait mettant en scène Jennifer Connelly marchant dans le noir sur une musique complètement surréaliste. Sur le moment, cette vision ne m'a pas vraiment marqué. Pourtant, j'ai conservé un souvenir très net de cette scène pendant plusieurs jours, et je n'arrivais pas à me détacher de l'idée d'avoir été face à quelque chose d'unique, que je n'avais jamais vu ailleurs. J'ai donc regardé le film, qui m'a entraîné dans une expérience cinématographique indescriptible. J'avais cette impression ridicule d'être un somnambule qui s'avance maladroitement sur un fil sans jamais perdre l'équilibre, et qui s'enfonce de plus en plus profondément dans le terrier du lapin blanc. J'étais perdu, et je ne comprenais rien. Phenomena venait de m'introduire au cinéma de Dario Argento. Que dire d'autre ? J'ai déjà l'impression d'avoir dit tout ce qu'il y a à dire, alors que l’œuvre de l'italien ne se limite pas à cela. Il faut bien comprendre que Phenomena est un véritable fourre-tout, capable de parler d'une série de meurtre en introduisant en parallèle une dimension spirituelle à l'histoire, grâce à l'héroïne. En effet, plusieurs sous-intrigues s'intéressent à ses étranges crises de somnambulisme, ainsi qu'à son lien surnaturel avec les insectes. Mais Argento ne fait qu'attirer le spectateur sur des chemins brumeux. Il se moque pas mal du pourquoi du comment, et préfère faire grandir encore et encore le mystère du film en puisant dans toutes les ressources à sa disposition. Le lieu où se déroule l'action tout d'abord : les Alpes suisses. Un endroit vaste mais isolé, verdoyant mais silencieux, filmé sous toutes les coutures grâce à des cadrages ingénieux, qui viennent constamment modifier les échelles de plans, jusqu'à donner le tournis. Le son, quant à lui, s'impose comme la cerise sur le gâteau. Les scènes en extérieurs sont généralement dépourvues de musique, mais elles laissent entendre le bruit du vent, qui annonce beaucoup de mauvaises choses dès les premières minutes. En intérieur, ce sont les compositions originales du groupe Goblin qui accompagnent l'action, avec l'aide occasionnelle d'Iron maiden et de Motörhead. Le réalisateur pioche un peu partout dans ses inspirations et prend le risque d'amener plusieurs ruptures sonores, qui ne font que renforcer l'hypnose que l’œuvre opère sur son public. Mais en définitive, tout ce processus pour renforcer l'ambiance se répercute sur le personnage principal et son statut de nymphe. Le cinéaste se plaît à faire grandir l'aura de Jennifer Connelly en l'associant à plusieurs éléments religieux. La scène où elle pardonne ses camarades n'a a mon avis rien d'anodin, tout comme le fait qu'elle soit tout le temps habillée en blanc. On peut également voir dans la récurrence des plans sur des cadavres en décomposition une façon d'opposer le tueur à l'héroïne et à sa pureté (l'affiche semble confirmer cette hypothèse). Tous ces petits détails donnent au personnage une présence suffisante pour porter toute la folie du film sur ses épaules. Elle traverse alors l’œuvre d'un pas aérien, résolue à trouver le responsable des meurtres, tout en semant beaucoup de mystères derrière elle. Magnifique.