Cet après-midi au Publicis, des enseignants bien intentionnés avaient décidé d'emmener deux classes voir le film de Claire Simon. C'est donc dans un bruissement constant de pop-corn, de gloussements et de déplacements pour aller au distributeur de canettes que je tentais tant bien que mal de me concentrer suffisamment pour suivre les dialogues des séquences d'entretiens entre les conseillères et les femmes qui viennent consulter.
Seule compensation de ces deux heures de brouillage, une remarque lancée par un lycéen à la sortie, et qui montrait qu'il y en avait au moins un qui avait écouté : "Eh ben, je me dis que j'ai bien de la chance d'être un mec !", montrant ainsi une prise plus importante que ce personnage du film, un garçon venu accompagner sa copine qui se demande si elle va avorter : "Je ne sais pas, je ne suis pas une femme"
Depuis les années 90, Claire Simon a fréquenté les centres du Planning Familial, d'abord à Grenoble, puis dans d'autres lieux. Elle y a enregistré avec un magnétophone ou en prenant des notes sur un petit carnet les échanges entre les femmes et leurs conseillères. A partir de cette matière unique, elle a écrit un scénario, puis elle a demandé à des actrices connues de jouer le rôle des membres du Planning (Nathalie Baye, Nicole Garcia, Isabelle Carré, Anne Alvaro, Béatrice Dalle, Rachida Brakni, Marie Laforêt, auxquelles il faut ajouter Michel Boujenah), alors que ce sont des acteurs non-professionnels jouent les rôles des personnes qui viennent consulter.
Passé un premier moment d'adaptation devant la première scène où Nathalie Baye reçoit une beurette qui veut prendre la pilule, ce parti pris fonctionne parfaitement, tant le jeu des actrices fait précisément oublier que ce sont des actrices, grâce sans doute à la justesse des dialogues. Nathalie Baye, Nicole Garcia ou Marie Laforêt semblent rompues aux techniques de l'écoute rogerienne, et à coup de reflets, de reformulations et de questions ouvertes, elles parviennent à faire dire à leurs interlocutrices ce qu'elles n'arrivaient pas à formuler.
Pour cela, les séquences durent ce qu'elles doivent durer, filmées en plan séquence avec une caméra qui panote de l'une à l'autre. Entre ces séquences fortes s'intercalent des moments de vie du centre : la gestion de l'accueil, la salle de repos, l'accueil d'une classe de collégiennes, une réunion sur la conduite à adopter en cas de mariage forcée, ou quelques pas de danse dans un couloir. Car un des personnages est l'appartement haussmannien où est hébergé le Planning, cadre inhabituel avec ces moulures et ses lambris, loin de l'architecture stalinienne des dispensaires de banlieue.
Par la diversité des situations, depuis la jeune fille portugaise de 14 ans enceinte jusqu'à la prostituée bulgare de 40 ans, par la disparité des attentes des femmes, pilule du lendemain, choix d'une contraception, demande d'un certificat de virginité, I.V.G. hors délai, le film n'ennuie jamais, et brosse un tableau complet de la situation des femmes plus de quarante ans après l'adoption de la loi Neuwirth et plus de trente après celle de la Loi Veil.
Formellement passionnant par ce choix du style documentaire reconstitué avec des actrices que Claire Simon qualifie d'"icônes", "Les Bureaux de Dieu" est aussi captivant par ce qu'il nous raconte, et par l'adéquation de la forme et du fond à ce sujet défini ainsi par la réalisatrice, "un métier qu'elles inventent au fur et à mesure, un métier qui consiste à écouter d'autres femmes aux prises avec leur liberté d'aimer, d'avoir des enfants, maintenant, un de ces jours, ou jamais."
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