Devant «Une femme est une femme» (France, 1961) de Jean-Luc Godard, les féministes se sont, à bon droit, interrogées sur la misogynie de l’auteur. Angela, une strip-teaseuse (Anna Karina –n’est-ce pas la plus belle actrice du cinéma avec Liv Ullmann, Claudia Cardinale et Cyd Charisse ?-) demande à son compagnon, Emile (Brialy), de lui faire un enfant. Refusant catégoriquement, par peur de s’engager, elle se replie vers l’ami d’Emile, Alfred (Belmondo), et enfante avec lui, on le suppose. A priori, scénario pro-féministe dans sa façon de postuler sur la libération sexuelle des femmes, Godard décrit Angela comme un obscur objet du désir, femme changeante, têtue et désinvolte en même temps. Les féministes avaient criées au scandale. Pourtant le film brosse un des plus beaux tableaux de femme du cinéma. Aussi amoureux de son personnage féminin que Bergman l’était dans «Sommaren med Monika» ou que Mizoguchi dans «Yôkihi», Godard compose, dans l’entrain de l’amour, une comédie musicale singulière. Dévoilant le talent de Michel Legrand pour la comédie chantée, Godard révèle au cinéma français un goût, tout américain, pour le musical. Dédié à Lubitsch dans le générique d’une merveilleuse sobriété, «Une femme est une femme» cultive le même goût du paradoxe et de l’humour anecdotique que le cinéaste de «Ninotchka». En fin de compte, ce que le film imprime à l’esprit du spectateur, ce sont son rythme cadencé par une folle ingéniosité (qui n’omet pas les bravoures petit-malin) et les couleurs vives (très bleues, blanches, rouges) obtenues par Coutard à partir du Franscope. Le Prix du Jury au Festival de Berlin met en évidence le talent notable de Godard pour mettre en scène le monde comme il est au cinéma. Par ailleurs, «Une femme est une femme», dans sa modestie, amorce dans le cinéma de Godard, ce qu’il n’abandonnera jamais dans toute son œuvre, un goût pour la plasticité des mots en images («Le mot est une chose» ainsi que le défendent les artistes Fluxus contemporains).