Prix Spécial du jury au Festival de Berlin pour la meilleure actrice Anna Karina ;
Avec Anna Karina, Jean-Paul Belmondo, Jean-Claude Brialy.
Un film bien de son temps qu’Une femme est une femme. Nous sommes en 1961 et Jean-Luc Godard voit son film sélectionné par le Festival de Berlin qui lui voue un franc succès pour son audace d’une part en remportant un Prix spécial du juy mais surtout, et c’est encore plus important, en couronnant d’autre part Anna Karina pour son charme discret de persuasion ; égérie de toute une génération qui allait stigmatiser l’auréole féministe autour d’une libération qui la promettait à la ruine de son esclavagisme.
"Une femme est une femme" est aussi l’amusement que prend Godard à faire du cinéma tout en y glissant avec finesse des clins d’œil à ce militantisme existentiel qui débouchera sur mai 68. En partial admirateur de Lubitsch n’éprouve-t-il pas la nécessité d’y flasher son nom dans le générique ? Au cas où le spectateur ne voudrait pas se sentir concerné, il utilise ses personnages pour le solliciter franchement directement dans les yeux, dans un unique face à face, histoire d’insister plus lourdement sur quelque chose qui est de toute première importance pour l’avenir de la condition féminine. Dès la première scène, Angela jette un sourire au plein centre de la caméra lorsqu’elle sort du café et Alfred d’enchaîner avec un encore plus solennel «elle s’en va !» Tout cela bien entendu pour faire du spectateur une unité participative à part entière et également afin de briser ses modes d’appréhension de la condition féminine figée au commun des mortels jusque là autour des clichés de la mère au foyer. Il ne les renie pas ces clichés, Godard, au contraire il se base dessus pour montrer qu’il y a autre chose. Angela fait la cuisine mais est également stripteaseuse dans un boui-boui de nuit où les clients se comptent sur les doigts d’une main. Vous pouvez vous faire recruter pour Marseille mais certaines filles finissent à Buenos Aires alors qu’aujourd’hui ce serait plutôt l’inverse. Tout comme ses collègues de travail, ça ne les dérange pas de se déshabiller devant des gens puisqu’elles «méprisent le monde». Quant à l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme…qui a vu l’ours, je vous laisse imaginer la pagaille entre Émile (Jean-Claude Brialy) et Alfred (Jean-Paul Belmondo), deux personnages différents dans la tenue et l’approche de la femme Angela décidée à se jouer d’eux sans la moindre méchanceté juste dans la bonne humeur. Le premier aime à se faire servir le souper, aime que tout soit prêt pour lui et qu’il ait besoin de ne rien faire. Il ne bronche même pas lorsque ses œufs à la coque se retrouvent sur le carrelage de la cuisine puisqu’il venait d’ordonner de laisser tout tomber ! Le second regarde des films au restaurant chez Marcel, il y passe A bout de souffle et on comprend qu’il ne le raterait sous aucun prétexte si ce n’était qu’Émile l’appelle et le fait monter chez lui pour qu’il fasse un enfant à sa femme car il n’a pas réfléchi encore suffisamment à la question et prétexte qu’il doit être en forme pour le week-end. Godard renvoie l’indécis à une partie de cache-cache avec lui-même tandis qu’il donne à Belmondo l’opportunité de poursuivre cette image d’éternel amoureux au cœur tendre qui lui colle à la peau ; nous sommes un vendredi 10 novembre et ne sauront pas ce qu’il adviendra du lundi 13 mais Angela a décidé d’avoir un enfant et son copain du moment ne semble pas disposé à la suivre dans cette démarche et voilà Godard mettant en scène un micro trottoir où le malheureux Émile demande à un passant s’il ne pourrait pas coucher avec madame pour lui faire un enfant. Malheureusement ce n’est pas non plus le moment pour le passant qui d’ailleurs n’a pas le temps.
En écoutant Aznavour, les trois personnages cherchent à prouver leurs sentiments, semblent hésitant et quémandent à tour de rôles «maintenant la vérité» et voudraient être certains du qu’on s’aime. En tous cas nos deux gaillards ne sont pas du genre à regarder les filles qui sortent de la piscine et y prennent tous les deux un malin plaisir entre la lecture des pages de l’humanité, l’alcool qui s’écluse pas de la même façon selon la main de la personne qui en lève le verre et dépeignent finalement une femme en devenir à qui tout arrive, pas sans lendemains mais non plus pas enclavée dans la programmation domestique de son existence au bras d’un mari. Et puis ce n’est pas courant de voir un couple s’engueuler au cinéma à coup de titres de bouquins. De Monstre à Eva (te faire foutre, là il l’a rajouté au crayon), en passant par Bourreau et Momies péruviennes ou de Filou à toutes les femmes au poteau, on apprend que quand ils ne se parlent plus ils s’insultent encore tout en trouvant, chacun, la liberté à sa mesure et pour Alfred, particulièrement, pour qui Angela restera une de ces cigarettes Gitanes qu’on tire et qu’on jette, évanescente et mystérieuse mais propice aux meilleurs rêves.