Quand on regarde "Doute", on a du mal à croire que ce n’est ni plus ni moins l'adaptation cinématographique de la pièce de théâtre "Doubt : a parable" que le réalisateur a lui-même écrite. Et pourtant… Poussé par un irrésistible besoin de mettre en avant le doute noyé au beau milieu d’un océan de certitudes, John Patrick Shanley met fin à 18 années d’inactivité au poste de réalisateur. Cela en dit long sur sa volonté d’engager le dialogue sur ce fameux doute ! D’ailleurs son film commence vraiment sur un office, par l’intermédiaire d’un sermon sur le doute. Oui, à l’église. Quoi de mieux que de choisir un tel milieu pour réaliser un tel exposé sur un sentiment qui est somme toute permis quel que soit le sujet ? Non pas que le scandale lié à l’Eglise intéressait le cinéaste (mouais, là j'ai quand même un doute), mais parce que l’opacité régnant autour des rouages de la religion offrait un contexte idéal pour faire ce développement. Le choix de ce milieu n’est pourtant pas innocent, car il permet d’apporter de la force au propos, et de toucher davantage les cœurs. Après tout, la religion est pour ainsi dire sensée être irréprochable, inattaquable, et doit forcer le respect malgré d’anciennes pratiques qui font tâche (je pense entre autres à l’Inquisition). C'est un peu ironique, je dois dire... Mais pour ce qui est de toucher les cœurs, c’est ma foi plutôt réussi. Les nominations aux Oscars en témoignent. Le seul reproche que j’aurai à faire à ce film est qu’il met du temps à se mettre en place, à tel point qu’on se demande où ce long métrage nous amène… Aussi ce film ne plaira pas à tout le monde, car il est lent. Très lent. Et je ne pense pas me tromper en affirmant que la quasi-intégralité du public a pensé à un moment donné ou un autre à appuyer sur la touche « stop ». Mais au moins, le spectateur est mis au même niveau que la directrice pour le long processus qu’est la mise en place du doute. Tout ce que je peux vous dire sans spoiler le film, c’est que de poursuivre la lecture en vaut la chandelle. Pourquoi ? Je parlais plus haut de force dans le propos. Eh bien Philip Seymour Hoffman et Meryl Streep y contribuent largement, ayant effectué chacun de leur côté un stage d’immersion afin de s’approprier leur rôle respectif. Du moins c’est ce que je crois. En attendant, ils sont aussi convaincants l'un que l'autre. Le premier apparait en curé touché par la grâce, lequel veut rendre l’Eglise plus accessible, la rendre plus proche de ses ouailles, la rendre plus moderne. La seconde est une directrice/mère supérieure acariâtre, sévère et austère, veillant au plus près à la discipline, à la rigueur et à la sauvegarde de la calligraphie. Rarement on a vu Meryl Streep avec des traits aussi durs, à des années-lumière de la sensibilité des rôles qu’elle a endossé dans "Out of Africa" et "Sur la route de Madison". Ainsi ils évoluent dans des décors austères, froids, ce qui a le don de souligner l’humanité des personnages. Mais cela permet également de renforcer le drame, ou la gravité de la situation si vous préférez. Peu à peu la tension va monter crescendo, pour trouver ses points d’orgue lors des confrontations directes entre Sœur Aloysius et Père Flynn. Parmi eux se glisse Amy Adams en bonne sœur emplie d’une si grande bonté que ça fait d’elle un personnage agaçant de naïveté. Aussi, le ton résolument gnangnan (pour ne pas dire « gamin ») lui va à merveille, bien que ce soit… comment dire pour ne pas être désobligeant ?... ah oui : … bien que ce soit incommodant. Outre l’interprétation sans faille des comédiens, chaque plan du cinéaste est un trésor d’ingéniosité. Surprenant quand la réalisation est plutôt académique ! Rien n’est futile, ou en tout cas presque rien. Il y va ainsi de ce fichu téléphone qui tend un peu plus la tension de son incessante sonnerie stridente, ou de l’arrangement des stores vénitiens qui vaut à lui seul une réplique que je vous laisse le soin d’interpréter. Les prises de vues sont variées. Avec un plan sur le curé en plongée confronté aux plans pris en contre-plongée sur un vitrail, on se rend compte à quel point l’homme est petit face à la grandeur de la foi… La fadeur de l’éclairage est conforme à l’austérité des décors, des décors pourtant bien vivants comme en témoigne la séquence du défilé improvisé des enfants filmée entre deux rampes d’escaliers. Sans jamais utiliser à proprement parler des mots qui fâchent, la réalisation réussit finalement à rester sans parti pris, et laisse finalement le spectateur en proie au doute en dépit de son idée toute faite au départ. Un véritable tour de force. "Doute" est donc bel et bien un film qui sort de l’ordinaire, en étant une œuvre philosophique plus qu’autre chose, agrémentée par des allocutions très métaphoriques sur la rumeur (splendide, soit-dit en passant), traitant au passage en sous-entendu l’intolérance, et ponctuée par un final enneigé, comme pour geler à jamais les certitudes. De quoi laisser dans l’esprit du spectateur quelques sujets de réflexion, parmi lesquels la politique de l’autruche apportée par la touchante Viola Davis.