En 1975, Steven Spielberg est encore un tout jeune réalisateur, certes auréolé des relatifs succès de "Duel" ou de "Sugarland express". Et puis l’apparition en 1974 du best-seller éponyme de Peter Benchley intéressa au plus haut point Spielberg, attiré vraisemblablement par le succès et le potentiel d’une adaptation cinématographique. Doté de ses talents de visionnaire et d’un budget 4 millions de dollars, rien ne l’arrêtera en dépit d’un surcoût de 5 millions de dollars, pour aboutir au résultat que nous connaissons tous, tant commercial (rapport de 470 millions de dollars) que marquage des esprits même 40 ans après. Le requin (notamment le grand blanc) est diabolisé, la peur des requins fut et reste omniprésente, faisant réfléchir à deux fois les gens avant d’aller se baigner à l’époque. Il faut dire que l’entame donne le ton d’entrée, avec cette visite des bas-fonds sous une musique de John Williams quelque peu angoissante. La tension monte au fur et à mesure grâce à une mise en scène réussie et une réalisation impeccable. Le trio d’acteurs principaux y est également pour quelque chose : Roy Scheider campe un chef de police qui remplit à merveille son rôle en étant obnubilé par la sécurité des habitants et des vacanciers, Richard Dreyfuss est dans la peau d’un expert en océanographie qui connait particulièrement les squales, et Robert Shaw excelle dans l'interprétation d'un vieux loup de mer au caractère bien trempé et arrogant tant il parait sûr (trop ?) de lui. Alors qu’ils sont issus d’un monde complètement différent, ils se trouvent réunis pour une seule cause, en raison d’un maire trop longtemps en proie au pouvoir de l’argent apporté par les vacances d’été s’annonçant sous le meilleur auspice. C’est à partir du moment où les trois hommes embraquent pour la traque de l’animal que l’attention du spectateur est irrémédiablement captivée. Le scénario, bien que réécrit à plusieurs reprises, est bien rédigé, offrant un déroulé logique et convaincant. Le suspense va en grandissant, l’alternance de scènes calmes et angoissantes y étant pour quelque chose, au même titre que la mise en images. Steven Spielberg nous montre ici son immense talent de cinéaste en nous gratifiant de plans inquiétants, comme cette découverte nocturne de la barque sous les rayons d’une lampe torche passant difficilement au travers des vitres salies par l’air iodé, les embruns et la saleté, rendant ainsi l’instant plus glauque et chargé de stress. Ou comme ces plans où on s'attend à voir quelque chose, mais où finalement il ne se passe rien. Spielberg a su jouer avec nos nerfs. Spielberg nous gratifie également d’images d’archives de l’institut océanographique lorsque le requin attaque la cage, sans doute dans le but d’amener de la fluidité dans les mouvements du requin et donc de le rendre aussi réaliste que possible. Car en 1975, les effets spéciaux n’ont pas la même qualité que ceux d’aujourd’hui. Le cinéaste savait déjà que son requin de 8 mètres en animatronique ne correspondait pas à l'aisance réelle de l'animal, aussi s’attache-t-il à ne le montrer qu’au strict minimum. Evidemment, 40 ans après, on voit que ça a pas mal vieilli, mais le film est toujours aussi flippant. Si flippant qu’au moment de sa sortie, "Les dents de la mer" était interdit aux moins de 18 ans, n’étant aujourd’hui déconseillé qu’aux moins de 12 ans. A l’instar de l’intrigue qui laisse un souvenir impérissable, la musique de John Williams a marqué également les esprits. Le pouvoir de l’argent y est vivement critiqué : on ne lésine pas avec la sécurité de la population. Et puis on note aussi le goût du cinéaste pour les histoires vraies qui semblent anecdotiques tant elles sont relativement inconnues du grand public, avec cette évocation de la tragédie du cuirassé USS Indianapolis. Je m’étonne même qu’il n’ait pas fait quelque chose sur ce sujet, si on tient compte de sa filmographie ("1941", "La liste de Schindler", "Amistad", "Il faut sauver le soldat Ryan", "Munich", "Cheval de guerre", "Lincoln"). Le fait est que "Les dents de la mer" ont remportés en 1976 trois Oscars sur quatre nominations, la concurrence étant très rude cette année-là. Il a d’ailleurs été le plus gros succès commercial de l’année, tant et si bien que 4 séquelles ont été tournées (mais pas par Spielberg) en 1978, 1983, 1987 puis en 1995 pour le petit écran (dont je viens d’apprendre l’existence). Autant que vous le sachiez de suite, aucune d’entre elles n’arrivent à la cheville du numéro 1. Cette réalisation fait office de référence dans le genre. Elle a été souvent imitée, mais jamais égalée. Si j’avais un conseil à vous donner, vous lancer dans la découverte de la saga serait une pure perte de temps. Autant rester sur cette version qui est le premier chef-d’œuvre du grand monsieur Steven Spielberg.