(...) Le montage est ce qui frappe le plus dans ce film. Non-linéaire, voire même parfois abstrait, il désarçonne par sa manière d'utiliser le son mais aussi la chronologie. Le plan du début est en fait un flash-forward (avec cette utilisation sidérante de la couleur des néons) avant de partir en avant puis d'introduire un flash-back puis un autre flash-forward et ainsi de suite. Le spectateur pourrait être perdu ou confus mais le tout garde une cohérence totale. Puis c'est le générique, avec ses plans magnifiques sur le héros, perché sur les barbelés puis c'est cette incroyable séquence avec ce montage alterné durant lequel résonne les bruits de pas de Walker, qui avance, de manière métaphorique mais aussi physiquement, vers la maison de Lynne. Plusieurs séquences aboutissent ainsi à de vraies de montage syncopée mais toujours avec une vraie signification comme ce passage où différents amants font une pirouette dans le lit (d'abord Walker et Chris puis Walker et Lynne puis Chris et Reese puis Reese et Lynne) le tout dans un même mouvement. Le découpage devient sensitif, sensoriel, il donne un autre sens à l'agencement des plans pour un résultat puissant, basé sur le ressenti plus que sur l'intellect. C'est la base même du cinéma et Boorman s'impose alors comme un véritable maître du genre. Avec l'appui de Lee Marvin, Boorman ose tout (montage cut, ralenti, éclairages criards), quitte à parfois se perdre mais on sent que tout obéit à la logique de l'histoire qu'il veut raconter. Walker est un héros certes mais un héros à la morale trouble. Épris de vengeance, il n'en reste pas moins un personnage froid et calculateur, qui n'hésite pas à envoyer à la mort ceux qui le gênent ou qui veulent le piéger et qui est capable d'accès de rage dévastateurs. Ses plans sont méthodiques et il anticipe presque à chaque fois les réactions de ses adversaires, prenant par surprise ces malfrats sans envergure qui travaillent au service de la mystérieuse Organisation dont nous ne verrons jamais le sommet.
Le twist final remet en perspective le personnage, pion d'un échiquier dont il croyait être le Roi.
Sa relation avec Chris est également très bizarre, entre répulsion et attirance. Cette dernière est jouée par la magnifique Angie Dickinson et son rôle est loin d'être celui d'une pauvre petite victime. Aussi manipulatrice que Walker, elle ne partage toutefois pas ses convictions jusqu'au bout, comme lors de cette scène où elle passe ses nerfs sur le torse de Walker, Lee Marvin imposant là son extraordinaire puissance physique, ne bougeant presque pas sous la violence des coups. Son charisme et sa force sont d'ailleurs à l'honneur dans ce film qui comporte aussi quelques scènes de bagarre assez réalistes, contrairement là encore à ce qui se faisait à l'époque. Les coups sont bien masqués (on a même parfois l'impression qu'ils sont portés) et la chorégraphie fait plus penser à une vraie bagarre qu'à une bagarre de cinéma : les personnages suent, les coups sont donnés un peu partout, le décor est bien utilisé et on ressent la fatigue, l'épuisement des protagonistes, qui finissent rincés ou bien sacrément amochés. (...) Cette époque là était propice aux expérimentations, aux débordements, à la révolution et c'est grâce à des acteurs comme Lee Marvin et à des réalisateurs comme John Boorman, qui ont inspiré des nombreux autres, que le cinéma a avancé dans une bonne direction, celle de faire des films qui ont un sens mais qui savent aussi raconter une histoire, avec des personnages tangibles et qui divertit le public.