Mesdames et Messieurs, entrez, entrez ! Bienvenue au cabaret, ou plutôt dans Cabaret, un film brillant dans son envie de retransmettre l'ambiance d'époque de ces lieux uniques : numéros olé-olé voire grivois pour amuser un public endimanché (il faut voir les chapeaux de plumes des dames et les beaux costumes des hommes), fumées des cigares, rires hilares, chants hystériques ou odes lyriques aux maux du quotidien, à la légèreté du show "grivois" succède un hymne à la réalité bien triste. Et l'on peut dire que l'époque dans laquelle s'inscrit l'histoire est des plus tristes : l'Occupation allemande lors de la Seconde Guerre Mondiale, la chasse aux Juifs et la montée du nazisme. Seul lieu où l'on peut échapper à un monde en déclin, ce petit cabaret qui pioche justement dans la tragédie du moment ses spectacles les plus forts : l'homme qui chante son amour transi pour un personnage de guenon ("si seulement vous la voyiez comme je la vois"), ce qui fait bien rire le public, avant de révéler du bout des lèvres un mot "Juive" à la place du dernier mot "guenon", alors salué par une salve d'applaudissement d'un public qui comprend le double-sens anti-nazi... Nous suivons en parallèle la vie d'une des chanteuses du cabaret qui s'offre le luxe de convoler avec deux hommes, l'un étant un jeune professeur sans le sou et l'autre un riche aristocrate, et l'on se prend en affection très vite pour ce délicieux trio, très bien interprétés par Liza Minnelli (immédiatement attachante), Michael York et Helmut Griem. On pourrait même disserter des heures sur l'analyse des séquences les plus inspirées : voyez comme le film met en opposition le chant chaleureux sur scène filmé en plans larges, entouré d'un public qui s'agite pour exprimer sa folle envie de prendre part au spectacle, et le chant partisan des nazis filmé en plans serrés (gros plans sur les visages), neutre, stoïque, vide de toute étincelle Le chant de vie versus le chant de mort. Impossible de ne pas repartir en ayant l'une des musiques en tête (pour notre part, on voit resurgir "Willkommen, bienvenue, welcome" en boucle dès qu'on prononce le titre du film), impossible de ne pas se sentir dépaysé et "chez soi" à la fois dans ce charmant petit cabaret au maître de cérémonie complètement fou, impossible de ne pas être triste par la fin triste qui nous est proposée (
la chanteuse avorte et se sépare de l'homme qu'elle aimait, pour reprendre sa carrière
)... "Toutes les comédies musicales finissent bien", on ne pourra jamais assez dire combien ce cliché est faux (Hair, Moulin Rouge, La La Land,...) et Cabaret déroge encore une fois à cette envie d'abuser de la crédulité du spectateur : nous faire rêver, oui, mais en restant les pieds sur Terre, à l'image des shows du cabaret sous l'Occupation. D'une extrême logique et cohérence avec son propre propos, Cabaret reçoit huit Oscars en 1973, et c'est amplement mérité. Laissez vos problèmes au vestiaire, poussez un grand coup les portes et "Willkommen, bienvenue, welcome"...