L'histoire d'un livre adapté par un écrivain génial qui a assez de fric pour se faire plaisir et se payer la tête des spectateurs, enfin surtout des débiles mentaux qu'il méprise livre après livre.
Inutile de dire qu'ayant lu tous les pamphlets contemporains de Michel H. sauf « La possibilité d'une île » qui trône dans mon appartement, refusant de se dévoiler, j'avais très peur de voir ce film, pour ne pas être déçu deux fois. Par le sujet qui me paraîssait bien loin de mon plaisir Houellebecquien puis par la réalisation pas forcément assurée venant d'un littéraire certes touche à tout, mais pas vraiment charismatique. La bande annonce étant un grand moment de nullité typique des films sixties populaires français.
Je romps tout de suite le suspense, ce n'est pas aussi niais que le résumé pouvait le laissait penser.
S'il est une seule chose que personne ne prend le risque de dire à propos de Houellebecq, c'est sans doute de le faire passer pour un con. On a donc un film qui correspond assez bien au niveau culturel et au talent hors norme de l'écrivain mais pas forcément accessible, à l'image de ses poésies.
Les premiers plans, dans le plus pur style indépendant Coréen ou nouvelle vague sont très réussis, lents et fixes, mais le rythme du découpage empêche de commencer à se dire que c'est nul ou laid. Bien au contraire, on sent une esthétique seventies affirmée, sans aucune nostalgie, au contraire un amour du cinéma contestataire qui prenait le temps de vivre avant de raconter ou d'emoustiller le spectateur. Donc, ce film est à l'opposé extrême du cinéma contemporain, rapide, sentimental et explicatif. Mais il est très loin également des films d'auteurs lourdingues qui n'ont rien à dire et l'étalent. L'humour "contenu" en sus, puisque dans la première scène, l'auditeur en rouge qui s'allume une clope n'est pas un inconnu.
Ici, le temps est en apesanteur, tout se passe sous nos yeux par des ellipses constantes presques exigeantes, des plans généreux en vrai 16/9ème, et une musique magnifiquement choisie ou composée qui fait penser à l'existentialisme de « Police Python 357 » d'Alain Corneau.
Comme je n'ai pas (encore) lu le livre, je ne me suis pas pris la tête à considérer que c'est une adaptation râtée ou partielle. C'est en fait un développement personnel (et il est bien placé pour faire ce qu'il veut de son œuvre) presque poétique sur une petite partie du postulat de l'ouvrage. Et c'est en cela que le film est particulièrement interressant, il donne le plaisir d'une idée qui se meût à l'écran. Les humains étant là juste pour donner corps à l'histoire, pour nos petits esprits sentimentaux. Mais les paysages, les fluides et les cadrages donnent souvent la vedette à autre chose.
La morale de l'histoire est encore plus pessimiste que d'habitude, l'humanité n'a pas survécu et ce n'est pas dommage, mais les néo-humains n'ont pas plus de chance, leur perfection leur fait goûter la solitude, et la survie de la conscience humaine n'en est que plus absurde. Au moins à ce niveau, on retrouve la lucidité froide et logique de Houellebecq, le maître de l'existentialisme scientifique. Et c'est bien plaisant de savoir que quelques personnes sont encore capables de penser au lieu d'agir ou d'aimer n'importe comment.
Bon tout ça, c'est évidemment pour les 5% de Français qui comprennent le cynisme, l'exigence intellectuelle et le mépris de l'humanité actuelle de Michel. Pour les autres, c'est forcément un film lourd, incompréhensible, ennuyeux et plus que lent, sinon désincarné, sans parler de la grotte en tissus habillée de toiles d'araignée de cinéma totalement risible. Ceux là, et c'est heureux, ne se sont pas déplacés, ou alors sont partis au bout de la première demi-heure, ce qui nous permet de rester entre nous. C'est la seule beauté de l'argent, permettre à Houellebecq de se faire plaisir, de nous faire plaisir, alors que nous ne sommes qu'une poignée à aimer des choses intelligentes et originales.
Mais le vrai miracle, c'est qu'il a su rester professionnel, exigeant et disponible, le niveau des repérages étant sûrement la conséquence d'un sacré boulot. Sans parler du casting particulièrement réussi dans l'optique des textes de l'auteur. Bauchau est extraordinaire, son calme et sa diction permettent la caricature géniale du gourou, on sera plus réservé sur Magimel, surtout sa voix Chabrolienne, mais il était indispensable pour rester attractif, et correspond parfaitement à la première partie du film.
En résumé, un beau et bon film qui explore une autre possibilité du cinéma, le « silence » zen et la poésie de l'image débarassée de l'antrhopomorphisme sentimental, gageure difficile à subir et à suporter qui permet de regarder le film le plus reposant de cette décennie.
Par contre, pourquoi le (conséquent) lectorat de Michel ne s'est pas déplacé ? Mystère. Ce n'est que la première semaine d'exploitation, mais ce n'est pas bon signe pour la pluralité du cinéma Français.