Présenté en 2006 au Festival de Berlin, El Custodio, premier long métrage de Rodrigo Moreno, a obtenu le Prix-Alfred Bauer (du nom du premier directeur de la manifestation), récompensant chaque année "un film qui ouvre de nouvelles perspectives dans l'art cinématographique". Sélectionné dans de nombreux festivals à travers le monde, le film a également décroché le Prix du Meilleur scénario d'Amérique latine à Sundance et une Mention spéciale du jury à San Sebastian.
L'acteur principal du film, Julio Chavez est un des comédiens les plus en vue du cinéma argentin. Il était notamment le héros du polar très remarqué L'Ours rouge d'Adrian Caetano et d'Extrano. Et un an après la présentation de El Custodio, il est retourné à Berlin pour la présentation d'El Otro... et a remporté l'Ours d'argent d'interprétation masculine.
Le cinéaste précise ses intentions : "Ce projet est né dans une rue de Buenos-Aires, un après-midi où j'ai vu un fonctionnaire argentin, protégé par deux gardes du corps. Ces deux hommes respectaient un protocole, une sorte de rituel, de cérémonial, et j'ai été interpellé par leur silence. J'ai ensuite contacté de véritables gardes du corps d'un ministre argentin que j'ai pu suivre : j'ai passé une journée en voiture avec eux, j'avais une petite caméra et nous avons pu faire connaissance. Plus que l'aspect documentaire, je voulais tenter de trouver un point de vue pour les filmer, pour souligner l'absurdité de leur travail. Je me suis vite rendu compte que ma caméra devenait en quelque sorte leur propre garde du corps, l'ombre des ombres, c'est ainsi que le projet a commencé. El Custodio, c'est l'histoire d'un homme dont le métier consiste à remplacer sa propre vie par celle d'une autre personne, avec toute la pression que cela implique, et finalement comment cette pression finit immanquablement par éclater."
Le principe du film (se limiter au point de vue du garde du corps) a permis au cinéaste de bâtir son récit de façon originale : "Je n'avais pas envie de développer cette histoire selon les règles classiques de la structure narrative. Je ne trouvais pas nécessaire de créer un conflit entre des forces dramatiques. En tout cas, ce qui m'intéressait pour ce film, c'était d'utiliser un mode de narration singulier (...) Rubén essaie d'être invisible, de passer inaperçu dans la vie publique. Personne ne le voit et personne ne l'écoute. Dans son boulot, si l'on tire, on le fait avec un silencieux. Voilà pourquoi j'ai imaginé un film silencieux, un monde presque sans mots." Le film joue aussi sur le contraste entre deux mondes, celui du Ministre et celui du garde : "Le premier : silencieux, monochrome, celui d'un travail aseptisé, est représenté dans une lumière froide, des costumes sombres, des voitures impeccables, de larges fenêtres et un environnement sans surprise (...) L'autre univers est privé, intime, le chaos y remplace la modération. Les endroits sont petits et sordides, les lumières douces et le son est celui de la vie réelle (...) Ces deux environnements font partie du conflit intérieur de Ruben, les deux se développent conjointement tout au long du film. Je voulais que le spectateur soit affecté par cette tension."
Rodrigo Moreno revient sur la dimension symbolique du personnage auquel il a choisi de s'intéresser dans El custodio : "Un garde du corps vit par personne interposée, c'est quelqu'un qui n'exprime ni ses désirs, ni ses opinions, qui est soumis à la nécessité d'un autre. J'ai donc imaginé un personnage muré, silencieux, tel un samouraï dont nous ne pouvons déchiffrer les sentiments (...) Dans la mesure où le ministre n'encourt pas de réel risque, il ajoute : "Sa fonction est totalement "décorative". Ce garde du corps est un meuble familier. Sans aucun doute, cette soumission est une forme moderne de l'esclavage."
Pour construire son personnage de garde du corps solitaire, le comédien Julio Chavez s'est beaucoup inspiré de... son propre père.
Le chef-opérateur choisi par Rodrigo Moreno est... une chef-opératrice. "Il s'agit d'un film très masculin, alors placer une femme derrière la caméra m'a semblé intéressant", explique le réalisateur. "Mais ce qui compte, ce n'est pas le sexe, c'est le talent, et Barbara Alvarez s'est affirmée comme une directrice de la photo exceptionnelle. Elle a su capter le climat de ce film." Auparavant, celle-ci a collaboré avec le tandem Juan Pablo Rebella/Pablo Stoll (25 watts, Whisky).