Depuis "Fred", Pierre Jolivet a su créer un nouveau genre, celui de la comédie sociale. Autour de son acteur fétiche, Vincent Lindon, il a écrit des intrigues bien ficelées inscrites au coeur de la réalité de l'époque : chomage, malversations, difficulté de la justice... Avec "Je crois que je l'aime", il aborde un nouveau genre, celui de la comédie romantique. Mais il n'en n'abandonne pas pour autant sa sensibilité sociale, en ajoutant à l'opposition classique des caractères des deux héros un affrontement de classe. Certes, Elsa n'est pas une prolétaire, mais plutôt une intermittente de la création ; le comportement de Lucas qui a l'habitude de tout régler par l'argent la hérisse, et elle ne se gêne pas pour lui faire savoir.
Pierre Jolivet, tout en respectant le cahier des charges de la comédie romantique, aborde le sujet des libertés individuelles menacées par les progrès de la technologie. Dès la scène d'exposition, on voit la gouvernante de Lucas utiliser une télécommande domotique agissant sur les volets, la lumière, la caméra du sas d'entrée. Par la suite, les téléphones portables servent d'outil de base aux situations comiques, et on en vient à se poser pour les scénaristes la question qu'Elsa adresse à Lucas "Mais comment faisiez-vous avant ?" Le détective, joué par une Berléand au mieux de sa forme, utilise un arsenal de micros espions, de caméras cachées et de sous-marins ; il faut dire qu'il a été à bonne école, puisqu'il a servi à l'Elysée du temps de Mitterrand...
La réalisation de Jolivet est toujours aussi enlevée et élégante, à l'image de ce montage parallèle de Lucas déprimant dans son lit et d'Elsa sur le divan de son psy, ellipse amusante et efficace pour signifier les semaines qui s'écoulent après qu'elle a découvert un micro chez elle. Vincent Lindon est chez lui, et ça se sent. Quant à Sandrine Bonnaire, elle aborde avec charme et enthousiasme un nouveau registre, très convaincante dans un rôle qui évoque parfois Katharine Hepburn.
Et puis il y a une galerie de seconds rôles savoureux : Kad Merad en copain lourdaud, Liane Folly en taupe québecoise, Albert Dray en chauffeur juge des conquêtes de son patron, Guilaine Londez en assistante de direction attentive aux humeurs de son patron pour savoir si elle doit vendre ses actions, ou encore Brian Bigg en sumotori cardiaque. Certes, il y a peu de surprise, puisque tous les ingrédients du genre sont là, et dans l'ordre requis. Mais le traitement de l'ensemble tirant parfois vers le burlesque, le rythme allegro et le jeu de la bande d'acteurs font de "Je crois que je l'aime" une des bonnes surprises de cette période plutôt morne.
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