Le scénario est cosigné par Manuel Pradal et Tonino Benacquista, l'auteur de "Saga", "Les Morsures de l'Aube" et "De battre mon Coeur s'est arrêté". Il s'agit d'un scénar à l'ancienne, une histoire de vengeance et de machination, ayant pour cadre un New York plus noir que jamais, noir parce que souvent capté la nuit, mais aussi parce que filmé loin de Broadway et de Time Square et sublimé par la photograhie de Yorgos Arvanitis, le chef-op d'Angelopoulos. Les fenêtres sur cour ne servent pas à assister à l'accomplissement d'un meurtre, mais permettent à Alice d'observer la douleur intacte de Vincent, douleur qui l'empêche de tourner la page, et de s'intéresser à elle autrement que comme la bonne copine d'à côté.
Elle comprend que seule la découverte de l'assassin de sa femme pourra mettre fin à cette douleur. Et comme la police a clos depuis longtemps l'enquête, et qu'il y a 12 000 taxis à New York, il ne lui reste plus qu'à prendre un chaufeur au hasard, et à le transformer en coupable idéal. Elle choisit donc Roger, une sorte de Travis Bickle qui n'aurait pas basculé dans la folie meurtrière trente ans plus tôt. Mais comme lui, on sent des failles, un rapport à la violence et à la soufrance peut-être né aussi au Vietnam, ce qui expliquerait sa phobie de Chinatown. Le choix d'Harvey Keitel n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard, lointain écho de sa participation au chef d'oeuvre de Scorsese.
Jusqu'à la réalisation du plan de la jeune femme, l'histoire fonctionne bien et les non-dits de Roger et d'Alice, ainsi que les ambiguités de leur relation réussissent à maintenir une tension propre au genre. Malgré certaines facilités, comme la description de ces bars glauques que fréquentent Roger ou de son loft avec passage du métro aérien qui ponctue ses coups de reins, on peut croire à ces trois personnages abimés par la vie.
Malheureusement, la dernière demi-heure s'enfonce dans l'invraisemblance, tant par rapport aux événements qu'à la psychologie des personnages. Et justement, ce qui manque dans ce film, c'est le doute qui planait sur le sens à donner à la dernière scène de "Taxi Driver" ; à la place, on a le droit à un happy end préfabriqué, loin de la rédemption scorsesienne, et contradictoire avec le propos même du film, à savoir l'inéluctabilité du mal pour guérir d'un autre mal.
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