Chacun sait, aujourd’hui, le parfum de scandale dégagé par ce film. Il y a, d’une part, la crudité des scènes de sexe, avec des actes clairement non simulés. Il y a, aussi, le caractère licencieux de la passion amoureuse ce film, le personnage féminin poussant toujours plus loin le personnage masculin dans le vice. Sur ce dernier point, il est intéressant de noter que c’est bien le désir de Sada, ancienne prostituée devenue domestique, qui guide l’action du film, son patron Kichizo étant cantonné à un rôle assez passif, presque d’homme-objet, subissant l’appétit démesuré de Sada pour le sexe - le sien en l’occurrence.
Mais on aurait tort de ne voir ici que des sexes d’homme et de femme en action. Cette libido sans limite s’incarne bien davantage en la bouche de l’actrice, Nino Metsuda. Une bouche qui, à l’instar de celle d’Adèle dans le film de Kechiche, n’a de cesse de soupirer, supplier, embrasser, en viendrait presque à dévorer son amant tout entier. C’est l’élément corporel qui est au cœur de chacun des plans - jusqu’à en occuper tout l’espace à un endroit du film. Bien plus que le pénis ou le vagin, dont on ne nous épargne aucun détail, c’est la bouche de Sada qui est au centre de la prise d’images, l’endroit par lequel Nagisa Oshima "attaque" chacune des scènes.
Autre point du film intéressant : la façon dont le couple se retire progressivement du monde, dans des espaces qui semblent se restreindre au fil du récit, jusqu’à les couper complètement d’un extérieur marqué par le contexte militariste de l’époque - des soldats défilent dans la rue au tout début du film. L’action est donc ramenée à la stricte intimité de la chambre à coucher, souvent réduite à la seule présence d’un lit et d’une tablette pour le saké. Cette fois-ci, on pense à un autre film : le non moins scandaleux Dernier Tango à Paris (Bernardo Bertolucci, 1972), sorti quelques années auparavant et dans lequel le couple formé par Marlon Brando et Maria Schneider se réfugiait dans un appartement parisien pour s’adonner à des pratiques sexuelles sadomasochistes. Eux ne semblaient pas fuir le contexte politique mais peut-être davantage le climat sociétal (je fais ici référence au féminisme alors en pleine expansion). Dans cet appartement, ils s’interdisent d’échanger leurs noms ou tout ce qui a trait à leur identité sociale, comme pour y échapper. L’homme y règne en maître et impose son désir à une femme prête à tout accepter. Au début, ça a l’air d’un jeu mais on découvre que ce qui s’y joue est des plus sérieux : la tentative de rédemption d’un homme brisé à travers des pratiques peu en phase avec les évolutions du monde extérieur.
Alors que la révolution sexuelle bat son plein en Occident, nous sommes donc en présence de deux films qui font de la sexualité un acte de dissidence, un refuge pour se protéger du dehors. Mais dans les deux cas, ce retrait du monde, qui se fourvoie dans les plaisirs de la chair,
se révèlera être une impasse, un jeu pervers à l’issue fatale. Chez Oshima, le piège semble se refermer lentement sur les deux amants, le feu de la passion les dévorant finalement tous deux ; chez Bertolucci, c’est l’impossibilité pour le couple de vivre sa passion dans la réalité d’une société changeante, où l’homme doit reconsidérer la place qu’il occupe.