L'Empire des Sens est un de ces films fascinants qu'il est difficile de noter ou de citer étant donné sa subversion extrême, ou plus en surface, son contenu choquant.
Et il n'est pas difficile d'imaginer que le succès relatif qu'il a eu à l'international soit dû à la vision pornographique que devaient avoir les badauds (la mentalité courante des années 70 a dû aider).
Et pourtant L'Empire des Sens n'est pas qu'un film pornographique qu'on peut regarder pour se rincer l’œil (ça c'est votre affaire vous faites ce que vous voulez) moi je l'ai regardé pour l'amour du Cinéma avec un grand C.
Et je peux le dire maintenant que ce film c'est bel et bien du Cinéma pur et dur.
Malgré un début vraiment trop rapide avec des cuts trop brusques, une fois que Sada Ade (Eiko Matsuda) et Kichizo (Tatsuya Fuji) se rencontrent, on est transporté dans leur histoire.
Pour parler des acteurs, ils sont incroyablement investis et leurs personnages sont vraiment passionnés par ce qu'ils font, on ressent toute la fougue et toute l'amour qu'ils se portent l'un l'autre. Chose tout à fait étonnante quand on voit que la quasi totalité des scènes entre eux sont des scènes de sexe. Mais nous y reviendront.
Et le film fait même montre d'une certaine audace de nous montrer plusieurs très longs plans qui démontrent toute l'efficacité du jeu des acteurs et donne au film un côté encore plus réaliste et de facto, dérangeant pour ce qu'il a à montrer.
Une fois que Sada et Kichi-San se rencontrent, le rythme du film devient plus soutenu et on suit avec intérêt (obscène ou curieuse) leur parcours. Parcours hédoniste qui se révélera être une véritable spirale auto-destructrice.
Leur débuts ne sont motivés que par un désir sexuel simple pour, au fur et à mesure, devenir une véritable dépendance motorisée par leur recherche du plaisir ultime entre-eux.
Et vous pourrez toujours essayer de me dire qu'une relation basée uniquement sur le sexe n'est pas une réelle histoire d'amour, ce n'est pas le cas dans L'Empire des Sens.
Enfin, si dans un sens, il se base sur le sexe, mais c'est ce qui rend ce film bien plus subtil malgré sa provocation.
La quasi-totalité des scènes entre Sada et Kichzo sont des scènes de sexe mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'elles sont plus complexes qu'elles n'y paraient au premier degré (parce que si on le prend au premier degré, c'est juste un prono deluxe, pas de quoi justifier un prix à Cannes).
Sada et Kichizo sont de simples amants au départ, on pourrait même dire qu'ils sont nymphomanes. Mais leur relation va devenir au final une véritable drogue, il n'y a pas d'échanges sentimentaux mais le sexe devient leur seul point commun et ils ne pourront plus se lâcher, au propre comme au figuré. C'est un amour du sexe qui se développe en amour total.
La définition même du mot "amour" se base sur la dépendance, je crois qu'on peut dire que la relation entre Sada et Kichizo est une véritable histoire d'amour dans tout les sens du terme, c'est juste qu'elle est poussée dans un extrême très singulier.
(dans vos gueules les gens qui disent que les scènes de sexe ne servent à rien dans un récit).
Ils sont dépendants de cette amour sexuel au point de se mutiler pour elle, de ne plus manger et d'aller toujours plus loin pour avoir des sensations plus intenses. Rendant cette relation à la fois passionnée et perverse.
Cette course au plaisir continue de monter et devient de plus en plus dangereuse, ils abandonnent leur santé et leur image et on comprend bien vite que cette frénésie aura un dénouement tragique si ils continuent sur cette voie.
On le comprendra surtout au moment où la geisha meurt suite à un ébat, et malgré tout, Kichizo et Sada sont indifférents à son sort, comme si ils étaient conscients et se fichaient de ce qu'il leur arrivera si ils continuent cette pratique auto-destructrice à l'excès.
C'est ce qui se ressentira à la fin du film quand Sada et Kichizo entament leur ultime ébat.
Sada étrangle Kichizo pour rendre leur plaisir encore plus intense malgré le danger évident, mais raisonnables, ils s'arrêtent.
Puis après un moment, les deux semblent se résigner et Sada étrangle fatalement son mari qui, non seulement est consentant, mais en plus sans la moindre motivation sexuelle, juste mourir.
Comme si les personnages prenaient conscience que leur but guidé par un plaisir constamment inassouvi n'avait pas de sens et devait inévitablement les conduire à la mort.
J'ai entendu d'ailleurs beaucoup de critiques négatives qui disaient que le film était mauvais (et vide) car il ne fait qu'exprimer la libération sexuelle de l'époque. On peut y penser étant donné les réactions variés des individus qui observent les ébats amoureux dans le film, qui vont du dégoût à la fascination en passant par la surprise. Je pense dans ce cas que les témoins lors de ces scènes sont le miroir du spectateur, qui s'identifiera à l'une de ces réactions (car il est évident que L'Empire des Sens susciterait des réactions variés).
Mais ce que je voulais dire, c'est que certains critiques ont dit qu'il exprimait la libération sexuelle de l'époque. Ce qui revient à dire que le film ne fait que montrer du sexe pour choquer et montrer qu'il y a du sexe dans le monde. Donc traiter ce film de vide.
Ce à quoi je répond: Euh...vous en êtes sûrs ? Sûrs que ce film témoigne une simple époque et fait l'apologie du sexe ? Est-ce que vous avez remarqué que le film était volontairement pervers ?
Je ne connais pas l'avis de Nagisa Oshima là-dessus mais mon visionnage m'a donné une vision très nette.
L'Empire des Sens, pour vous donner un exemple, c'est comme La Grande Bouffe de Marco Ferreri, il montre des personnages qui pratiquent une activité simple jusqu'à en devenir totalement sous l'emprise de cette pratique pour en arriver à un résultat fatal, voulu ou non (d'où le titre L'Empire des Sens qui doit montrer que les personnages sous soumis à la loi du désir et de la sensation pure).
A partir de ça, je peux clairement vous dire que ce film ne fait pas l'apologie du sexe, il dénonce au contraire cette libération du sexe qui, dans le cas de nos deux protagonistes, en devient une véritable obsession amoureuse qui en devient une pratique auto-destructrice qui les mène inévitablement à leur perte (on pourrait même dire que le film dénonce la dépendance en général).
Car oui, peut-être que c'est ce que le film exprime, qu'on en devient tellement dépendant d'aller toujours plus loin dans une pratique qu'on peut aller trop loin.
Dans le cas de Sada, au point d’idolâtrer le phallus de son mari après sa mort.
On peut dire ce que l'on souhaite de L'Empire des Sens, il est choquant, provocateur, dérangeant, dégoûtant. Mais l'histoire qu'on nous montre, malgré la base entièrement sexuelle et une véritable histoire d'amour pure et dure, comme ce film est du cinéma pur et dur.
Un mélange fascinant entre passion et destruction.
En sommes, du grand art.