Robert Wise réalisateur qui à l’image de Richard Fleischer demeure un peu méconnu, fait partie des 18 cinéastes qui au cours de leur carrière ont reçu deux Oscars du meilleur réalisateur. À ses côtés Billy Wilder, Frank Borzage, Joseph L. Mankiewicz, David Lean Clint Eastwood ou Steven Spielberg. Une carrière qui s’étend sur 49 ans et 39 films réalisés. Connu pour son éclectisme qui lui a permis de briller aussi bien dans le film noir, la science-fiction, le péplum, le drame, la comédie, le film catastrophe, le western comme dans le film d’épouvante avec « Audrey Rose » (1977 ou « La maison du diable » qui nous occupe ici. En 1962, Robert Wise qui a lu le roman de l’écrivaine spécialisée dans le fantastique, Shirley Jackson, « The Haunting of Hill House » paru en 1959, le fait lire à Nelson Gidding qui a écrit quatre ans plus tôt « Je veux vivre ! » qui a valu un Oscar de la meilleure actrice à Susan Hayward. Durant six mois Gidding rédige le scénario alors que Wise met la dernière main à « West Side Story ». Le réalisateur approche United Artists qui montre assez peu d’intérêt pour le projet. Finalement la MGM s’engage mais en accordant à Wise un budget limité à un million de dollars. Celui-ci comprend dès lors très vite qu’il lui faut délocaliser le tournage en Angleterre où des conditions fiscales très avantageuses sont accordées aux sociétés de production étrangères venant tourner sur place. Le scénario écrit par Gidding s’écarte quelque peu de l’aspect fantastique du roman pour l’axer sur le caractère névrotique des deux personnages féminins notamment celui d’Eleanor Lance qui sera interprété par Julie Harris après que Susan Hayward a renoncé à apparaître dans le film. Cette vision reçoit l’assentiment de Shirley Jackson après que les deux hommes soient venus lui rendre visite à North Bennington dans le Vermont. Le tournage commence le 1er octobre 1962. La coïncidence veut qu’au même moment Julie Harris
souffre elle-même d’une grave dépression qui la voit très peu communiquer avec ses partenaires. Malgré un recours parcimonieux aux effets spéciaux essentiellement sonores, Robert Wise parvient à rendre parfaitement la sensation de claustrophobie qui oppresse à différents degrés les quatre protagonistes dont les deux femmes recrutées à dessein par un professeur en parapsychologie
cherchant à démontrer la réalité de la survivance de certains esprits après la mort. Les deux jeunes femmes en question interprétées par Julie Harris et Claire Bloom déjà sujettes chacune à une très forte émotivité vont être très réceptives à l’ambiance spectrale qui règne dans le vieux manoir. Eleanor (Julie Harris), en rupture affective visiblement
incapable d’assumer jusque-là une vie autonome aussi bien matérielle que sexuelle va projeter toutes ses frustrations sur la maison et le professeur Markway (Richard Johnson) avec lequel elle va nouer une sorte de relation d’ordre psychanalytique changeant très vite de nature
. Robert Wise via la voix-off d’Eleanor qui explicite les tourments de sa psyché orchestre magnifiquement la tension que la jeune femme distille autour d’elle, contaminant par ses déclarations et ses perturbations sensorielles celle des trois autres. C’est essentiellement par le bruitage (grincements, craquements, chuchotements, ricanements, cris d’enfants, clefs tournant dans une serrure…) que l’angoisse saisit le spectateur qui ne sait plus très bien
si la maison est réellement la proie de phénomènes paranormaux ou si c’est le caractère hautement sensible d’Eleanor au bord de l’hystérie qui emmène sur la voie du délire
avec un environnement d’emblée réceptif. Sans doute chacun se nourrit de l’autre pour un résultat remarquable d’étrangeté qui démontre que l’angoisse est une sensation profondément humaine qui n’a parfois besoin que d’un environnement favorable pour prendre des dimensions paroxystiques. C’est manifestement le cas avec cette « Maison du diable » qui reste encore aujourd’hui une référence seulement égalée dans son domaine très spécifique par « les Innocents » de Jack Clayton en 1961 et surtout par le sublime et envoûtant « Les autres » d’Alejandro Amenabar sorti sur les écrans en 2001.