La maison du diable de Robert Wise est un monument et un chef d’œuvre du film d'épouvante, sorti en 1963. Il relate l'histoire d'un professeur d'université, le docteur Markway, qui, afin de poursuivre ses recherches dans la paranormal, décide de réunir dans une demeure hantée (le Castel) un petit groupe de protagonistes ayant été par le passé témoins de phénomènes surnaturels ou inexplicables.
Seules deux femmes répondront à son appel, Theo, une femme d'une grande beauté qui présente des dons de médium et Nel (Eleanor), jeune fille fragile et perturbée, en conflit avec sa famille, qui a passé les dernières années à s'occuper de sa mère malade et qui inconsciemment se croit coupable de sa mort.
Un troisième larron, Luke, fera partie du groupe en sa qualité de neveu de la propriétaire du Castel, mais sans participer directement à l'expérience, c'est d'ailleurs un rationaliste et un matérialiste très éloigné des préoccupations de Dr Markway. Le Dr Markway, enfin, sera le dernier membre du groupe, dirigeant l'ensemble de l'étude et donnant les consignes pour le bon déroulement de l'expérience.
Le décor est presque planté en totalité, il ne manque que le couple de gardiens du Castel, les Dudley, le mari, rustre à souhait, et la femme sinistre et inquiétante dont la présence fantomatique colle bien à l'ambiance de la demeure.
Le Castel, enfin, pourrait à lui seul constituer un personnage, omniprésent, oppressant et malfaisant, toujours présent, mais jamais visible.
C'est justement là la grande réussite de ce film, devenu depuis un modèle du genre, la demeure est au centre de tout, la cause de tout, c'est une entité à part entière que Wise se gardera bien de montrer ou de matérialiser de quelle façon que ce soit. Tout, absolument tout dans the haunting (on pourra regretter la traduction française du titre, car il n'est jamais question de diable, mais bien de hantise) est suggéré, jamais montré, ni expliqué. Notre imagination fait le reste ... et on en a pour son argent !
Une voix off présente un courte histoire (sanglante) du Castel, on peut supposer qu'il s'agit de celle de Markway, tandis que dans la suite du film, il s'agit de la voix de Nel qui décrit ses pensées ou ses interrogations. Dès son arrivée Nel décrit le Castel comme une entité visible : "la maison me regarde", elle est probablement la seule à voir ou a ressentir la demeure comme un être à part entière animé par un but et non pas comme une simple bâtisse. L'avertissement tombe immédiatement, elle sent qu'elle doit partir, qu'elle doit renoncer pour ne pas tomber dans le piège que constitue le Castel. Partir, mais pour aller où ? Elle a fui les siens, sans espoir de retour, le seul avenir qui lui reste est ici, dans cette demeure avec tout ce qui peut s'y trouver.
De fait, le Castel se comporte comme un prédateur qui va porter son dévolu sur le membre le plus vulnérable du groupe, Nel. La suite se déroule comme une mécanique bien huilée, le noir et blanc, l'architecture et le décor délirants de la vieille demeure, les phénomènes inexplicables qui se manifestent dès le premier soir ... la tension va monter tout au long de l'intrigue jusqu'au dénouement.
La scène dans la chambre, la première nuit, est un vrai bijou, ces deux femmes serrées l'une contre l'autre, la porte qui se déforme sous l'effet d'une entité formidable qui tente de pénétrer dans la pièce, les coups qui ébranlent la demeure, rien je pense dans l'histoire du cinéma n'a atteint un tel paroxysme. Les autres scènes qui se déroulent à mesure que les protagonistes découvrent les différentes parties de la demeure, jusqu'à la fameuse chambre d'enfant, sont également particulièrement réussies, comme celle qui se passe dans la bibliothèque notamment. Entre chacune de ces scènes les personnages discutent et se rassurent en se disant qu'ils n'ont finalement rien craindre et que les phénomènes de hantise, s'ils sont avérés, ne sont pas dangereux et qu'ils ont probablement une explication scientifique. C'est d'ailleurs la même remarque que peut se faire le spectateur qui se demande pourquoi il s'est cramponné à l'accoudoir du fauteuil l'instant d'avant. Pour quelques bruits ? Une poignée de porte qui tourne dans le vide ? Une inscription sur un mur ? Rien de bien effrayant dans tout cela ... et pourtant ...
Je terminerai avec la scène dans la chambre où Eleanor est persuadée de serrer la main Nel couchée à ses côtés, qui réalise quand la lumière revient que cette dernière est à l'autre bout de la chambre : mais alors à qui ai-je serré la main ? ... A qui ou a quoi, plutôt !
Nel tient le rôle le plus marquant du groupe. Luke est assez discret, Markway bien qu'assez présent en qualité de chef du groupe reste un personnage assez peu travaillé. Theo, quant à elle, est plus intéressante, car c'est l'autre femme du groupe, plus âgée que Nel, plus mûre et plus solide, du moins dans une certaine mesure, car ses dons de medium lui donne une grande sensibilité et elle n'est pas insensible au climat du Castel, loin s'en faut et on peut supposer qu'en l'absence de Nel le Castel s'en serait pris à elle plutôt qu'à un autre membre du groupe.
Nel est vraisemblablement amoureuse de Markway, ou du moins nourrit un sentiment amoureux envers cet homme plus âgé, marié, stable. On peut y reconnaître sans peine l'image d'un père, dont Nel se serait amourachée. Pourquoi lui et pas Luke, jeune, séduisant, un peu dragueur et probablement plus proche de Nel, du moins par l'âge. La réponse est probablement psychanalytique. On ne peut que s'étonner du rapport entre les deux femmes, d'abord affectueux, car Theo plus âgée prend Nel sous sont aile et décide de la dégourdir un peu et de la traiter comme une femme, puis par moments très tendus quand Theo apparait à Nel comme une rivale possible, puis à nouveau protecteur, du moins de la part de Theo, quand les événements l'exigent. En fait, il semble que Nel, vivant seule avec sa sœur et son beau-frère, sans amis, sans relations amoureuses, soit particulièrement naïve et maladroite dans ses rapports avec les autres, qu'elle peine à trouver sa place dans le petit groupe et à nouer des relations normales et harmonieuses avec les autres.Nel ne sait pas partager, elle se comporte avec l'autre de façon exclusive, n'admettant pas qu'une tierce personne y participe, tout comme un enfant pourrait le faire. Peut être reproduit-elle la relation exclusive qu'elle a vécu avec sa mère malade et qui est pour elle le seul modèle de rapport à l'autre qu'elle connait. C'est finalement vers le Castel qu'elle se tournera, désirant y demeurer seule jusqu'à la fin de ses jours.
The haunting, vous l'aurez compris, est un chef d’œuvre à mes yeux, une réussite inégalée à ce jour et pour longtemps encore. Restez soigneusement à l'écart de son remake, très mauvais, sur lequel j'ai rédigé également une critique. Tout le talent de Wise réside dans le choix de ne rien montrer, choix que les réalisateurs modernes, effets spéciaux à l'appui, ne savent plus faire. Si vous êtes amateur de films de maisons hantées, c'est un classique incontournable à voir absolument, si ce n'est pas votre tasse de thé et que vous décidiez d'en voir un juste pour votre culture générale, c'est celui-ci qu'il faut avoir vu et par un autre. Pour les inconditionnels de zombis à dézinguer à grands coups de tronçonneuse, ce n'est pas la bonne porte, il faut aller voir à côté ... et le choix est large !