Classique du film de boxe signé du maître Martin Scorsese, "Raging Bull" est entré dans l’Histoire du 7e art pour deux raisons : la transformation physique de sa star, Robert De Niro (entrée au Panthéon des prestations les plus hallucinantes vues sur grand écran) et, plus anecdotique, la fameuse réplique "You fucked my wife ?". Il est, effectivement, difficile de dissocier le film de son acteur tant De Niro livre ici une interprétation époustouflante d’intensité et de charisme. Son Jake La Motta est violent, infidèle, borné… bref, un personnage tout sauf sympathique que l’acteur ne cherche jamais à excuser mais auquel il confère une extraordinaire densité grâce à un formidable travail sur sa gestuelle, son regard ou encore sa voix. Il parvient, ainsi, à rendre, avec une grande justesse, le destin de ce champion bouffé par ses propres démons qui vont lui faire tout perdre. Il faut, néanmoins, rendre justice au talent de Scorsese, sans qui le numéro de De Niro n’aurait pas été à ce point transcendé. Car le réalisateur, digne représentant du Nouvel Hollywood, a apporté un soin tout particulier à sa mise en scène en lorgnant ouvertement vers la Nouvelle Vague française et le néo-réalisme italien, sans pour autant sombrer dans leurs travers. Ainsi, le quotidien de La Motta et son intimité avec sa femme et son frère viennent densifier la personnalité complexe du boxeur et sont magnifiées par l’utilisation du noir et blanc, de longs plans-séquences, des dialogues sans fioritures et une économie de musique. Résultat : il ressort du film un réalisme saisissant, notamment lors des scènes d’engueulade et de violences conjugales. Ce traitement permet, également, de renforcer la tragédie de la déchéance de La Motta et permet, tout simplement, à "Raging Bull" de dépasser le statut de simple biopic (le film est tiré des mémoires du boxeur, également consultant sur le plateau). Scorsese magnifie, en outre, les combats avec une utilisation très stylisée de la sueur (qui renforce l’impact des coups) et du sang (sur les cordages notamment)… ce qui renforce d’autant plus la dimension éminemment religieuse de son intrigue avec son héros en expiation constante. Mais, il serait injuste de ne pas saluer les formidables prestations du débutant Joe Pesci, fantastique en boule de nerfs survoltée (rôle qu’il tiendra pratiquement toute sa carrière, notamment chez Scorsese) et de Cathy Moriarty (avec sa voix rauque si torride) en épouse mal-aimée. "Raging Bull" n’a donc pas usurpé son statut de classique du cinéma US mais, comme tout classique, souffre forcément de son aura et du "poids" de sa mise en scène (les ralentis, les plans-séquences, les échanges mouvementés très arty…). Ce qui m’empêche de m’emballer totalement pour ce film, auquel je préfère, pour rester chez Scorsese, des productions plus récentes et plus "abordables" comme "Les Infiltrés" ou encore "Aviator".